
On mesure aujourd’hui la grandeur d’un personnage à son degré d’autonomie, à sa capacité à faire tout par lui-même et à ne dépendre de personne. Le prestige s’attache à celui qui peut démontrer qu’il fonctionne seul, qu’il assure sur tous les tableaux en se tenant au four et au moulin. Le mythe vingtième siècle du self-made man, qui avait pour défaut de ne s’appliquer qu’à quelques destins exceptionnels et parsemés, s’est vu réactualisé et mis à portée du plus grand nombre avec le sacre de l’autoentrepreneur et du fondateur de start-up.
Autrefois, au contraire, on avait besoin pour être quelqu’un de s’entourer d’une suite, d’un aréopage. Les destins étaient plus collectifs. Plusieurs individus s’agrégeaient autour d’un homme pour lui conférer leur force d’abattage, et le délester des tâches quotidiennes afin de lui permettre d’achever quelque chose de grand. Il y avait comme un principe de courte échelle.
Le projet de la vie individuelle était-il alors plus ambitieux, pour que plusieurs paires de bras veuillent s’y atteler dans l’abnégation ?