Accuser les autres de son malheur, cela est d’un ignorant.
S’en accuser soi-même, cela est d’un homme qui commence à s’instruire.
N’en accuser ni les autres ni soi-même, cela est d’un homme déjà instruit.
Epictète
Accuser les autres de son malheur, cela est d’un ignorant.
S’en accuser soi-même, cela est d’un homme qui commence à s’instruire.
N’en accuser ni les autres ni soi-même, cela est d’un homme déjà instruit.
Epictète
« Il est doux, quand les vents tourmentent de leurs trombes la mer aux vastes flots, de se trouver à terre et d’observer là le grand malheur d’autrui.
Non qu’on ait plaisir à voir quiconque mis à mal, mais de voir de quels malheurs on est soi-même exempt, c’est cela qui est doux.
Plus doux encore est de tenir les temples qu’a érigé l’enseignement des sages, bien défendus, sereins, d’où porter son regard vers en bas et voir au loin les autres errer et chercher au hasard le chemin de la vie, rivaliser d’esprit, faire nuit et jour un colossal effort pour monter au sommet de la richesse et être maître des choses… Pauvres esprits humains, ô poitrines aveugles ! En combien de périls et dans quelles ténèbres se consume la vie aussi courte soit-elle ! »
Lucrèce, dans De rerum natura.
« Souviens-toi que tu es acteur dans une pièce, longue ou courte, où l’auteur a voulu te faire entrer.
S’il veut que tu joues le rôle d’un mendiant, il faut que tu le joues le mieux qu’il te sera possible. S’il veut que tu joues celui d’un boiteux, d’un prince, d’un plébéien, il en est de même.
Car c’est à toi de bien jouer le personnage qui t’a été donné, mais c’est à un autre de te le choisir. »
Dans le Manuel d’Epictète.
Il y a une position par rapport à la vie qui n’en est pas une : celle de l’observateur.
Nous la connaissons bien cette position de l’observateur, qui nous permet de regarder la vie avec l’air de ne pas y toucher. De moquer, soupeser, analyser. Se placer au-dessus de la mêlée. Etre plus malin, renvoyer dos à dos… Il existe toute une littérature pour justifier cela, anoblir cette attitude d’albatros « qui hante la tempête et se rit de l’archer »… Toute une littérature pour se féliciter de ne pas prendre part, se persuader qu’on fait bien de rester de côté.
Et cette littérature existe sans doute aussi pour nous faire oublier que cette attitude n’a rien d’un choix raisonné : c’est avant tout une incapacité. L’observateur ne sait tout simplement pas faire autre chose. Il s’invente une 3ème voie dans le creux de son manque d’affirmation et de force nerveuse, mais sa position n’en n’est pas une. La position de l’observateur n’existe pas, elle est une posture. Une posture esthétique.
Depuis son promontoire, l’observateur regarde, comprend, et dresse le tableau. Il jauge la proportion exacte de vrai et de faux de chaque chose. Il a une vue juste alors il se croit tiré d’affaire. Mais sa « vue » n’est pas une alternative en soi. Sa 3ème voie n’est pas une voie. Son observation n’a d’autre incidence que de laisser faire ce qui se fait.
Parce que la vie, elle, roule toute seule : elle n’a besoin ni d’arbitre ni de commentaire. La vie propose de faire ou de ne pas faire. De participer ou de s’opposer. De jeter du charbon dans la machine ou de freiner des quatre fers. Mais il n’y a pas de rôle qui consiste à « observer ». Observer revient à laisser faire. Laisser faire revient à faire. Dans la vie, soit vous êtes réaliste et vous acceptez le cours des choses, soit vous ne l’acceptez pas et vous êtes idéaliste. Mais il n’y a pas de position haute qui consiste à être détaché ou ironique.
L’ironie est un faux-semblant pour celui qui n’a pas le courage d’affronter la réalité. Le cynisme, la distance, le recul : une posture esthétique pour celui qui n’a les moyens de supporter ni le monde, ni sa révolution. L’observation : une fausse cachette, une alternative en trompe-l’œil qui ne nous sert qu’à renoncer sans en avoir l’air, à accepter tout en évitant d’endosser la responsabilité. Une pirouette, un bien maigre succès d’estime en somme, par lequel on préserve ce qui nous reste de panache.
Que l’observateur garde cela en tête : ce n’est pas parce qu’il fuit qu’il est libre. Pas parce qu’il connaît son mal qu’il est guéri. Pas parce qu’il sait ce qui va se passer qu’il évite que ça se produise… Celui qui ne se mouille pas, qui ne s’implique pas, celui qui s’abstient ou s’absente : la vague de ce qui se passe réellement le recouvre. Que l’observateur observe, et attende son moment. Mais il faudra qu’il songe, un jour, à se lancer, à jouer sa carte, à abattre son jeu.
Au-delà de 40, 50 ans, le visage n’est jamais plus véritablement au repos. Lorsqu’il est « au repos », que la personne regarde distraitement dans le vide, le visage conserve en réalité une tension : une grimace figée de terreur, de malice ou de mécontentement… Toute sa vie d’adulte, le visage a tendu vers cette grimace pour finalement s’y figer définitivement. Il a pris le pli.
Peut-être ces personnes ont-elles fait cette grimace de plus en plus souvent ? Peut-être ont-elles lutté contre cette grimace ? Mais en tout cas la voilà installée et gravée. Le but, dans la vie, c’est peut-être de refuser cette grimace le plus longtemps possible, repousser le plus loin possible le moment où elle prend la place de notre visage.
Deviner quelle grimace va imprimer sur nous le cours de la vie. Déceler suffisament tôt chez soi la maladie qui nous sera fatale. Quelle marotte, quel penchant, quelle inclination ne guérira pas, quel vice de caractère nous accompagnera jusqu’à la folie puis la mort. S’asseoir à ses côtés et voir paisiblement la mort venir…