La laïcité, c’est une société qui ne présage pas de l’existence ou de la non-existence de Dieu, et qui instaure un terrain neutre où l’individu seul a la prérogative du religieux. A lui de décider.
Cette même logique semble à présent vouloir régir non plus le domaine religieux, mais celui de la vie même. Il faudrait que la société n’entretienne pas d’a priori plus favorable envers la vie qu’envers la mort ; elle devrait observer une neutralité et laisser l’individu juger seul. C’est ce qui transparaît du débat actuel sur la fin de vie, ou même celui sur la suppression du délai de réflexion obligatoire pour l’avortement.
D’un côté on ferait savoir au mourant que rien ni personne ne le retient s’il lui prend l’envie d’en finir. De l’autre, il ne faudrait surtout pas ralentir la décision d’une personne qui a choisi d’interrompre sa grossesse… Je comprends, en surface, ce qui motive cette vision des choses : l’attachement absolu au libre arbitre. Mais en dernière analyse, il m’est difficile de ne pas voir, sous le couvert du libre choix, un empressement morbide, le symptôme d’une société terriblement fatiguée, attirée par le néant.
Ce qu’un individu a le droit de penser (par exemple que la vie ne vaut pas ou ne vaut plus la peine d’être vécue), une société ne peut pas forcément se le permettre. Il me semble heureux que mon médecin ou mon système de santé ait un penchant a priori pour la vie et la santé, voire qu’il s’en fasse le prosélyte. Il me semble a contrario problématique ou inquiétant qu’une société se refuse à être catégoriquement affirmative envers la valeur positive de l’existence.
Ce que ces histoires peuvent avoir d’effrayant enfin, c’est qu’il ne se trouve bientôt plus personne pour comprendre que tout n’a pas sa solution dans la loi et qu’il puisse exister des domaines où l’Etat cesse de jouer un rôle. L’homme a une existence antérieure à l’Etat, une liberté en dehors de la société. La mort, le suicide, devraient paraître une frontière suffisamment évidente derrière laquelle tout s’arrête et laisse l’homme avancer seul, sans plus personne.