Ne pas montrer sa préférence

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La laïcité, c’est une société qui ne présage pas de l’existence ou de la non-existence de Dieu, et qui instaure un terrain neutre où l’individu seul a la prérogative du religieux. A lui de décider.

Cette même logique semble à présent vouloir régir non plus le domaine religieux, mais celui de la vie même. Il faudrait que la société n’entretienne pas d’a priori plus favorable envers la vie qu’envers la mort ; elle devrait observer une neutralité et laisser l’individu juger seul. C’est ce qui transparaît du débat actuel sur la fin de vie, ou même celui sur la suppression du délai de réflexion obligatoire pour l’avortement.

D’un côté on ferait savoir au mourant que rien ni personne ne le retient s’il lui prend l’envie d’en finir. De l’autre, il ne faudrait surtout pas ralentir la décision d’une personne qui a choisi d’interrompre sa grossesse… Je comprends, en surface, ce qui motive cette vision des choses : l’attachement absolu au libre arbitre. Mais en dernière analyse, il m’est difficile de ne pas voir, sous le couvert du libre choix, un empressement morbide, le symptôme d’une société terriblement fatiguée, attirée par le néant.

Ce qu’un individu a le droit de penser (par exemple que la vie ne vaut pas ou ne vaut plus la peine d’être vécue), une société ne peut pas forcément se le permettre. Il me semble heureux que mon médecin ou mon système de santé ait un penchant a priori pour la vie et la santé, voire qu’il s’en fasse le prosélyte. Il me semble a contrario problématique ou inquiétant qu’une société se refuse à être catégoriquement affirmative envers la valeur positive de l’existence.

Ce que ces histoires peuvent avoir d’effrayant enfin, c’est qu’il ne se trouve bientôt plus personne pour comprendre que tout n’a pas sa solution dans la loi et qu’il puisse exister des domaines où l’Etat cesse de jouer un rôle. L’homme a une existence antérieure à l’Etat, une liberté en dehors de la société. La mort, le suicide, devraient paraître une frontière suffisamment évidente derrière laquelle tout s’arrête et laisse l’homme avancer seul, sans plus personne.

« Revenir au commencement »

« Les suicidaires nous apparaissent comme des êtres souffrant d’un sentiment de culpabilité né de leur individualisation. Ce sont des âmes dont le but existentiel n’est plus l’accomplissement et le développement mais la dissolution, le retour à la mère Nature, à Dieu, au tout. Ils sont des suicidaires car ils voient leur rédemption dans la mort, non dans la vie. Ils sont prêts à s’anéantir pour revenir au commencement ».

Herman Hesse dans Le loup des steppes.

Grotesque de la mise en scène

Vu un t-shirt sur lequel un rappeur riche et célèbre fait semblant de se suicider en s’enfonçant le canon d’une arme dans la bouche.

Je me figure la crétinerie du rigolo qui pose pour la photo : décor sombre, œil sérieux et supérieur, arme factice au poing et la ferme détermination de faire… un joli t-shirt ! Je me figure la maquilleuse ou le photographe qui lui donne des indications, lui fait relever le menton : « comme ça coco ! ».

Je me figure cela et je le mets en relation avec la détresse authentique et inaperçue du vrai désespéré, qui à un autre endroit du globe, s’enfonce pour de vrai un pistolet dans la gorge avec comme seule envie la désintégration.

Et voilà tout le ridicule de l’auto-mise en scène du rap qui surgit, toute la pelote du spectacle qui se débobine : le cirque du « je suis un méchant », « je suis un maquereau », « on dit que je serais un bandit »…

50 cents dans un magasin de jouets

Le ridicule du rap et peut-être plus encore : celui des gens de spectacle en général. Ainsi le jeune acteur qui joue merveilleusement la noirceur d’un taulard, et à côté le taulard lui-même, seul, qui moisit en taule. Ainsi la grande actrice qui restitue très fidèlement la folie, l’hystérie, l’aliénation… et qui file rejoindre ses amis après le tournage, dans un bar à vins empli d’éclats de rire. Ainsi le politicien qui sur le plateau, dénonce les idées déviantes de son adversaire et dans les coulisses, le félicite pour les bons mots qu’ils ont échangés.