Yi-King et café turc

En renvoyant les techniques de divination (tarot, astrologie, bonne aventure…) au rayon « superstition, ésotérisme et autres conneries », on passe à côté d’une dimension tout à fait concrète, rationnelle et enrichissante que revêtent ces disciplines : un principe qui n’a rien de surnaturel, qui ne consiste pas à « deviner ce qui va arriver » mais simplement à nous aider à considérer un problème, à réfléchir différemment aux choses qui nous touchent.

Voici par exemple :

comment on lit dans le marc de café : on boit un café turc jusqu’à ce qu’il ne reste que le dépôt au fond de la tasse. On recouvre la tasse de sa soucoupe et on la retourne afin que la « boue de café » s’y déverse. On pose une pièce de monnaie sur le dessus en songeant à un « vœu ». On attend que le marc refroidisse puis on le fait lentement couler de la soucoupe à nouveau dans la tasse. Le marc, épais, laisse des traînées, ainsi que sur la paroi intérieure de la tasse. Ce sont ces « traînées » que votre liseur ou liseuse déchiffre, en y reconnaissant des figures qui correspondent à des symboles, un peu à la façon des tarots (la famille, la chance, la menace…). La personne évoque avec vous ces symboles et la façon dont ils peuvent interférer avec votre « vœu ».

comment on tire le Yi-King : le Yi-King se base sur un manuel chinois très ancien qui propose un système de 64 figures pour décrire et interpréter « les états du monde et leurs transformations possibles ». Là encore, l’idée est de penser à une idée, un projet, un problème… pour obtenir une clé de lecture. On prend en main un paquet de baguettes (style mikado) et on procède à un tirage. Cela consiste à couper à plusieurs reprises le paquet selon une mathématique précise, en retenant à chaque fois un certain nombre de baguettes en main. Les nombres obtenus sont utilisés dans des calculs pour être convertis en figures et composer un hexagramme, qui trouve son interprétation dans le manuel. On vous donne ainsi une lecture de la façon dont le problème ou le projet auquel vous pensez peut se transformer.

Ce qu’il est important de comprendre, c’est qu’il n’y a là-dedans rien de « magique ». Pas plus ni moins que dans le fait de consulter un psy ou de faire un jogging dans la forêt pour se sentir mieux. Le « diseur de bonne aventure » ne va pas vous révéler le malheur qui va vous arriver mardi prochain. Il vous propose simplement une « réponse », un spectre à travers lequel regarder votre problème. La seule chose de magique, ce sont les principes actifs qu’on peut retrouver dans ces deux méthodes, et qui rendent la méditation fructueuse. 

  • Il y a d’abord le mélange entre recherche personnelle et recours à l’autre : au départ, la démarche est intime de se poser une question secrète, de projeter une situation qu’on porte en soi (idée, désir, projet, problème) et de travailler dessus. Mais il y a également la nécessaire présence d’un autre : une personne « oracle », extérieure, qui aide à révéler ce qui est en nous.
  • Cette personne ne connaît jamais la question que vous posez ; c’est en toute ignorance qu’elle en discute avec vous, vous fait approfondir des pistes, vous propose une clé de lecture… Il y a donc ce travail partagé : « l’oracle » est à la fois le maître du jeu et le simple huissier, passif, qui n’est là que pour appliquer les règles. C’est vous qui faites le travail, qui donnez du sens à ses mots, qui les faites « parler » en leur donnant la teinte de votre question. 
  • J’aime également le rôle du temps. Le marc de café demande le temps de refroidir pour dessiner ses symboles. Le Yi-King demande le temps de trier les baguettes, qui peut prendre facilement 40 minutes. Temps perdu, temps profitable. Pendant ce temps, votre question agit en vous. Les gestes et le cérémonial vous laissent le loisir de mariner dans ce questionnement, et tout en même temps vous en distraient : ils accaparent votre attention et votre capacité de réflexion. La méditation est en partie inconsciente.
  • Il y a enfin ce mélange de méthode et de hasard : les symboles, les nombres obtenus, sont complètement aléatoires, mais extraits à l’aide d’une méthode rigoureuse, de gestes méticuleux. La « réponse » qui vous est donnée vient ainsi à la fois de vous et du hasard. Votre sort est à la fois entre vos mains et entre d’autres. Cette « réponse », ma foi, en vaut bien une autre, mais en l’occurrence c’est celle que le hasard vous offre d’approfondir.

En somme, ces méthodes sont tout simplement une façon de chercher en soi une réponse, un moyen pour s’aider à faire le vide dans sa tête, exposer un problème sous un jour nouveau, mettre à plat les solutions envisageables et trouver une nouvelle façon de les aborder, avec l’espoir qu’on parvienne, grâce à l’éclairage obtenu, à atteindre des idées, à lire en soi des pages qu’on n’aurait sans doute pas lues sans « divination ».