Histoire d’amour (se raconter une ~ )

Trouvé sur Facebook quelque chose qui m’a rempli de joie : une personne qui publiait cette photo et la légende qui va avec :

« Ce qu’il y a derrière moi me fait du mal et me fait peur
mais maintenant que je suis dans tes bras je sais
que je ne risque plus rien puisque tu me protège… »

Réalisé sans trucage… Cela m’a rempli de joie parce que je n’aurais pas su inventer meilleur exemple pour parler de ces personnes dont l’activité amoureuse consiste essentiellement à se projeter une image. A se raconter une histoire.

Ce sont ces personnes qui, en amour, sont attachées à des archétypes, abonnées à des scénarios de vie. Ce sont ces femmes qui tombent toujours amoureuses du même type (le Winner, le Voyou, l’Esthète, l’Italien connard…). Ce sont ces hommes qui ne peuvent être à l’aise qu’avec un genre de femmes précis (la Princesse, la Rigolote, Celle qui acquiesce, l’Infernale…), ou un schéma de relation précis.

Une fois en couple, ces personnes se rattachent à des scénarios d’amour. Elles entretiennent par exemple un mythe fondateur. Combien de fois nous ont-elles raconté, la voix réjouie :

« J’étais en rade sur un bord de route et il a débarqué »
« C’est elle qui m’a sorti du trou »
« On s’est engueulés dès la 1ère fois ! »
« On était ensemble en maternelle, on s’est perdus puis on s’est retrouvés ! »
« Le 1er soir on a discuté la nuit entière »…

Ces gens-là ont besoin de se raconter une histoire, ils n’ont en vérité pas grande envie de s’occuper de l’autre. Ils se mettent en couple, obéissant à une bête nécessité affective et sexuelle ; ils vivent en couple par un contrat implicite qui stipule qu’à deux la vie est moins ennuyeuse, plus confortable, plus conforme. Mais bien sûr cela heurte leur amour propre de le savoir. Alors pour ne pas se sentir trop animaux, ils s’appliquent à broder une histoire. Pour sublimer leurs « cot-cot » d’accouplement, ils mettent en scène une pièce selon laquelle ils ont des sentiments. Et voilà qu’il leur arrive des choses inexprimables, voilà qu’il va la protéger de ce qui lui fait peur, voilà qu’ils sont faits l’un pour l’autre et c’est un miracle qu’ils se soient trouvés… Le romantisme, en somme.

En réalité, ils ont simplement entendu parler, un jour, de ces grands amoureux aux destins exaltés, alors ils se sont sentis bêtes et se sont dit « pourquoi pas moi ». Mais ils n’ont pas la moindre envie d’aimer quelqu’un d’autre, ces gens qui se projettent une image, qui se fabriquent une histoire. En fin de compte, ils ne sont pas amoureux de quelqu’un ni intéressés par la responsabilité et le geste de s’occuper de quelque chose d’autre, mais sont seulement épris de cette image intérieure, cet écho en eux. La personne aimée n’a de valeur que par ce qu’elle représente, par sa ressemblance avec cette image rêvée, par ce qu’elle correspond à leur schéma interne…

Les couples qui se jouent comme cela une comédie durent quelques mois, parfois plusieurs années si les comédies de chacun, par hasard, se répondent. Puis ils éclatent lorsque la supercherie devient flagrante, lorsque personne aimée et fantasme intérieur sont devenus trop éloignés. Car l’amour est bien entendu tout l’inverse : moins on a besoin de ces « histoires », plus on est à même d’aimer véritablement. Mieux on sait aimer, moins on a besoin de ces histoires, plus ce romantisme est superflu et horripilant, monstrueux dans sa négation de l’autre. Un jour, vous savez que vous n’êtes pas unique, que l’autre n’est pas unique, qu’il n’y a pas d’âme soeur, que vous n’êtes fait pour personne et pour tout le monde aussi. Alors vous avez toute la disponibilité pour découvrir celle avec qui vous avez choisi d’être. Pour la voir telle qu’elle est et non telle que vous l’attendez. Pour chercher à savoir qui elle est, ce qu’elle veut, ce dont elle a besoin, en dehors de ce que vous voyez pour elle.

Perdre le pucelage de sa vision romantique est la condition sine qua non pour savoir véritablement aimer.

Détachement Féminin Supplémentaire (DFS)

La raison pour laquelle une femme est (soi-disant) plus romantique qu’un homme est tout simplement qu’elle peut se le permettre. Une femme aime, vit son amour, promet, à la folie, cueille le jour et se réveille le lendemain en ayant tout oublié. Il lui faut recommencer le jour suivant, avec le même homme ou avec un autre. Et si l’idylle tourne mal, elle n’a qu’une nuit à pleurer.

L’homme, lui, n’a les moyens de se faire avoir qu’une seule fois. S’il survit, il comprend qu’il doit désormais devenir raisonnable, ou bien il ne tiendra pas.

Une femme a une sorte de détachement supplémentaire par rapport à la vie, un œil supplémentaire sur les choses et sur elle-même, qui lui permet, en plus de vivre ces choses de plein fouet, d’inspecter ce qui est en train de se passer, de « mettre en abîme », comme on dit. Elle considère ses amours dans leur totalité, avec les joies, les peines, les aléas, qu’elle apprécie comme on peut les apprécier lorsqu’ils arrivent aux personnages de notre série télévisée.

On peut comparer ce détachement à une sorte de second degré auquel le féminin s’élève. C’est ce second degré qui fait par exemple que lorsqu’une femme aime, elle aime aimer au moins autant qu’elle aime l’homme en particulier. Ou bien qu’une femme qui écrit aura tendance à écrire sur l’écriture : à être fascinée par l’activité elle-même, tandis que le masculin écrit pour « rapporter des événements ».

C’est là sans doute ce qui fait la profondeur des femmes, leur façon de considérer les choses. Ce, également, qui les rend sujettes à un certain tourment, une certaine dépression qui leur est propre.

Coup de foudre

Coïncidence des traits d’un visage inconnu avec les images fantasmatiques très nettes qui fermentaient depuis un bout de temps dans notre cerveau.

Si par malheur le coup de foudre est réciproque, chacun flanque sur l’autre ses désirs totalitaires. La réalité, contrariante, regardera tout cela se finir dans un bain de sang.