« Le pire est de n’avoir pas accompli le bien qu’on pouvait »

Léon Bloy dans dans Journal II (1907-1917) :

« Le peu que j’ai, Dieu me l’a donné et quel usage en ai-je fait ? Le pire mal n’est pas de commettre des crimes mais de n’avoir pas accompli le bien qu’on pouvait. Dieu m’avait donné l’instinct de l’absolu – don extrêmement rare et torturant qui implique l’appétit constant et furieux de ce qui n’existe pas sur la terre. Je pouvais devenir un saint, je suis devenu un homme de lettres ! Ces pages qu’on veut admirer, si on savait qu’elles ne sont que le résidu d’un don surnaturel que j’ai gâché odieusement et dont il me sera demandé un compte redoutable ! Je n’ai pas fait ce que Dieu voulait de moi, c’est certain. Et me voici à 68 ans, n’ayant dans les mains que du papier ! »

« Homme perdu »

« Où suis-je ? Dans un canyon glacé situé près de la frontière, où à la lueur du feu l’herbe est toute marbrée de plaques de neige, la main posée contre les battements du cœur de Rose.

Je regarde les plus belles ombres que j’ai vues depuis des années papillonner avec la force des flammes qui montent du mesquite et du micocoulier. En haut du canyon, la lumière éclabousse les rochers comme du lait.

Je suis un homme perdu de soixante-quatre ans, recroquevillé sur le sol contre son chien et qui lève les yeux vers Orion dont les étoiles dans l’air limpide scintillent, vivaces et incompréhensibles. »

Jim Harrison dans En marge.

Cohabitation

Il y a cette période un peu inconfortable et embarrassante où il nous faut côtoyer nos parents, alors que l’on est adulte, libre, responsable, alors qu’on a son petit caractère et que pour le dire clairement, on n’a plus l’âge de se laisser mener… tandis que eux, nos parents, ne sont pas encore assez amoindris et dépassés pour lâcher leur emprise, désagripper leur ascendant, s’en remettre à nous et nous faire confiance.

Alors, on s’observe, on se navre, on se déçoit silencieusement et réciproquement… et on attend.

Le retour en taxi

Jeune, on rentre de soirée à pied plutôt qu’en taxi si ça permet de se payer un verre de plus. On croit alors que c’est une question d’argent, qu’un jour on aura les moyens.

Vieux, on se paye un verre de moins et on écourte la soirée si ça permet de payer le taxi du retour. On croit que c’est une question d’avoir vieilli, qu’on n’a plus les moyens de ce « verre de trop ».