Syndrome de Shrek

Le syndrome de Shrek, c’est cette tendance des films animés et des images de synthèse à représenter le moindre détail dans tout son réalisme y compris le plus dégueulasse. Désormais, tout y passe : chaque poil, chaque dent, chaque pore de la peau est visible à l’écran, plus vrai que nature. Chaque détail a sa texture ultra-réaliste : le pull est en tissu fibré, l’arbre est en bois, le cuir est en cuir… Le moindre cheveu est représenté individuellement, avec son mouvement et sa brillance, aussi net que dans une publicité pour shampooing… si bien que là où on est censé voir une chevelure soyeuse de princesse, on finit par avoir la sensation d’être un pou au milieu de son environnement capillaire.

J’imagine que c’est une tendance provisoire, un caprice de technicien qui se fixe des défis : artistiquement ça n’a aucun intérêt, mais puisque la technique peut le faire, elle le fait. Je me suis retrouvé un jour à discuter avec un employé de Pixar qui m’expliquait que sur un film, des équipes entières étaient dédiées à un détail. Une équipe entière bosse par exemple sur la chenille du petit robot Wall-E, et uniquement là-dessus. Texture, comportement, mouvement… Ils font en réalité un travail d’ingénieur, avec la même précision que s’ils devaient produire la pièce mécanique.

J’imagine que c’est une tendance et elle ne me dérange pas outre mesure car je ne vois jamais ces créations autrement qu’en tombant nez-à-nez avec les affiches et leur laideur. Je constate simplement que l’animation, discipline jusque là dédiée à l’onirisme et au fantastique, devient adulte, réaliste et désenchantée au fur et à mesure qu’elle se sophistique. Tout se « raffine » dans le sens du réalisme trivial, jusqu’à atteindre ce mélange entre l’enfantin et le malsain, comme dans ces immondes publicités Orangina avec les « animaux sexuels ».

Pendant que les enfants se régalent avec des jeux vidéo de guerre, de vie sociale et autres sujets de grands, les dessins et les animations se concoctent pour les adultes. Pendant que le virtuel colle à la réalité la plus plate, la réalité, elle, s’édulcore. Pendant que le syndrome de Shrek ajoute des poils et des boutons aux créatures virtuelles, les visages réels d’êtres humains, eux, se cartoonisent !

Duo chanteur

Ils sont là côte à côte. Parfois de part et d’autre d’un piano. Ils « interprètent » une grande chanson. Ils s’échangent des regards ou se donnent la main. Ils se passent le micro à mesure qu’ils effeuillent les couplets…

Il est toujours extraordinairement vulgaire, ce duo de chanteurs que la télévision jette sur scène : oeillades, regards en douce, main sur l’épaule, sourires appuyés… Très content de ce qu’il est en train de donner. Parfois il y a surenchère : si l’un secoue sa chevelure de façon sauvage sur la fin d’une rime, l’autre, quand c’est son tour, se sent obligé de répondre par une grimace un peu rock… Et puis il y a cette façon insistante de scruter le visage de l’autre comme pour savoir à quel moment il va jouir, ou pour l’y encourager…

En fin de compte, c’est toujours cette complicité surjouée qui prend le pas sur le reste : le duo semble plus occupé à mettre en scène sa bonne entente qu’à donner de l’âme à la chanson. Il semble tenir avant tout à ce que l’on voit combien ils sont au diapason, combien ils sont dedans, combien c’est un grand moment qui est en train de se passer… Ils n’ont pas l’air de se douter que cette jouissance mutuelle est gênante pour celui qui regarde, qu’on n’a pas plus envie d’y assister qu’à l’ébat de ses propres parents le dimanche matin sous la couette.

Quelle que soit la chanson, qui que soient les chanteurs, le duo est immanquablement vulgaire. Ce n’est pas complètement sa faute. C’est peut-être le principe même du duo qui veut ça. Parce qu’après tout, une fois qu’on est deux sur la chanson, on ne va pas non plus s’ignorer, on est bien obligé de se voir, de se chercher, et si l’on se regarde on est bien obligé de se sourire… Peut-être ne faudrait-il pas les filmer avec tous ces gros plans. Peut-être faudrait-il simplement ne jamais faire chanter deux personnes ensemble. Peut-être ce raté systématique tient à ce qu’une véritable chanson ne peut venir que d’un seul cœur, et que c’est par un seul cœur qu’elle doit en conséquence être interprétée pour toucher.