Je m’avoue complètement désemparé face à l’épidémie qui touche de plus en plus de contemporains : le « running ».
Les gens courent (ce n’est pas nouveau) mais surtout les gens disent qu’ils courent, racontent qu’ils courent, se regardent courir, et instituent le fait de courir ou d’avoir couru comme un sujet possible de discussion. Et face à eux, ceux qui ne courent pas les écoutent, ravis, ou au moins les laissent parler, demandent des précisions, relancent par leurs questions, le visage épanoui et sincèrement heureux en apprenant les mille et un détails du déroulé de ces courses à pied.
La dernière mode, c’est de courir sous différentes conditions, d’organiser des courses urbaines, champêtres, montagnardes, des courses avec des habits lumineux, des courses à travers des parcours festifs, des courses alternées avec de la natation ou du vélo… Il y a également toutes ces petites applications mobile qui mesurent la course, envoient les performances aux amis du coureur, ou permettent de « trouver quelqu’un avec qui courir »…
Au milieu de tout ça, il y a moi, qui ne comprends absolument pas ce que cela a d’intéressant, et moins encore ce que cela a de réjouissant de courir, de raconter que l’on a couru, ou d’écouter quelqu’un vous raconter comment il a couru… En temps normal j’en ferais une analyse, je chercherais à interpréter, à comprendre ce que cela veut dire, ce que cela cache, ce que cela révèle… Mais cette fois-ci je sèche, je coince, je suis tétanisé, simplement égaré au milieu d’une contamination générale. Je regarde les gens autour tomber fous un à un, mordus ; je cherche à me raccrocher aux personnes sensées, mais chaque jour je dois découvrir que l’un de ceux que je pensais épargné a été retourné pendant la nuit, a rallié les camp des schtroumpfs noirs : je le trouve à la machine à café, à écouter avec gourmandise quelqu’un lui raconter qu’il a couru 30 km ce week-end, ou admirer la vidéo d’une coureuse qui court jusqu’à l’effondrement…
Heureusement, cette fièvre aussi subite qu’incompréhensible a peut-être déjà atteint son point culminant : déjà, commencent à poindre sur le web des articles qui découvrent que « trop courir pourrait être mauvais pour la santé ». Cela peut paraître une sotte évidence, comme de découvrir que manger 4 kg de yaourt allégé en une fois ne serait pas si diététique qu’on croit… Une évidence rapidement balayée par un nouveau décret qui établirait que, tout compte fait, il s’agit de courir responsable : ni trop, ni pas assez… Vu de mon bunker en tout cas, c’est une avancée énorme, copernicienne : voilà le caractère sacré du jogging bafoué, et l’humanité touche du doigt l’idée que oui, peut-être, il serait ontologiquement possible de « trop courir »…