Le jour se suit et se ressemble

Nous nous inventons en permanence des soucis, des délais, des échéances…
A coups de « il faut », nous créons nos propres tracas : il faut obtenir la moyenne mardi prochain, pour le reste on verra. Il faut passer dans la classe supérieure en fin d’année, et puis tout ira mieux, ensuite on pourra rigoler. Il faut passer l’examen de fin de scolarité et puis c’est bon, après ça on se pose… Puis il faut trouver un boulot : c’est important, tout le reste repose dessus. Et une fois le boulot trouvé, ça ne va toujours pas : maintenant il faut « progresser ». Si vous ne « progressez » pas, ça ne va pas : il faut évoluer dans son poste. Plus de 2 ans sans évoluer, ce n’est pas bon ça…

Nous nous inventons en permanence des soucis, parce que nous avons un besoin vital, non pas de l’angoisse et son adrénaline, mais plutôt de relief dans notre vie. Nous avons besoin de croire que le temps est fait d’événements, de périodes qui se succèdent. Nous avons besoin de croire qu’on est plus ou moins ceci ou cela qu’on ne l’était auparavant. Nous avons besoin de croire que tout sera différent demain. Et pour cela nous rusons : l’alternance des saisons, l’échéance de la rentrée puis des vacances, les jalons de la vie active ou familiale, le retour des lundis et des week-ends… Autant d’astuces pour dissimuler la linéarité du temps.

Peu de gens pourraient vivre avec l’idée que le jour, le même jour, revient éternellement. Peu de gens supporteraient que « les jours » soient en réalité un seul et même jour, qu’entre hier et aujourd’hui, ne se soit passé qu’un simple tour de planète. C’est une idée si effrayante, « l’éternité », qu’on l’a reléguée dans le domaine de l’au-delà. Pas de ça ici ! L’esprit préfère penser que « dimanche » et « lundi » sont des choses substantiellement différentes. Et que le « lundi » d’aujourd’hui n’est pas non plus de même nature que le « lundi » d’il y a 100 ans

Il en est autrement. Une semaine, ce sont 7 jours qui se sont écoulés sur la terre. Et qui ne se sont même pas « écoulés » d’ailleurs : il n’y a pas de sablier avec un début et une fin, il n’y a pas une quantité de jours finie. Les jours ne vont pas commencer à s’épuiser, ni finir par manquer. Il n’y a pas de « jours » mais un jour (ou une nuit) permanent et continu. Ne cherchez pas de catastrophes planétaires ou de fin du monde : l’éternité n’est pas pour l’au-delà mais bien pour maintenant et ici. Une semaine, c’est simplement 7 tours de planète, 7 tours sur elle-même, 7 tours qui pourraient tous s’appeler lundi, ou ne pas s’appeler du tout. Le calendrier, l’Histoire, votre agenda : tout ceci n’est qu’une mauvaise habitude, une mauvaise illusion pour donner du relief au temps, aux mois et aux années qui passent…

6 réflexions au sujet de “Le jour se suit et se ressemble”

  1. Ce qui est drôle, c’est que l’alternance de jours et de nuits dont la raison peut comprendre qu’elle est avant tout une convention humaine, et qu’il n’y a qu’une plage continue de temps que nous divisons intellectuellement, le corps lui ne le comprend pas. Nous avons évolué biologiquement en fonction de cette alternance, de jours et de saisons, et nous sommes donc physiquement liés à cette illusion, même si l’esprit peut s’en évader.

  2. En effet… Encore qu’il faudrait élucider si cette dépendance physique n’est pas une simple question d’habitude. Notre « horloge biologique » comme on dit, se cale sur l’alternance du jour et de la nuit, des saisons… parce que ce sont les conditions objectives qu’elle vit. Mais supporterait-on d’autres conditions ? Cf. le conditionnement des astronautes qui partent plusieurs mois dans l’espace : il me semble alors qu’on reproduit artificiellement les conditions terrestres pour ne pas les perturber (y a-t-il des astronautes dans la salle ?).
    Outre cette question du rythme biologique, il y a aussi un besoin de toute autre nature : « quantifier » le temps, le découper en périodes, en étapes, se donner des horizons un peu artificiels et des objectifs intermédiaires (le prochain week-end, le prochain voyage, le prochain « chapitre de notre vie »). Se fixer des buts de court terme. C’est comme ça qu’on avance, me direz-vous. Mais c’est aussi comme ça que d’une certaine façon, on laisse filer le présent, on le gâche, on ne savoure pas ce qu’on a et ce qu’on est aujourd’hui à force d’être rivé sur « l’horizon suivant ». Il ne faudrait pas arriver en bout de course et dire, comme Céline : « il existe comme ça certaines dates qui comptent, parmi tant de mois où on aurait très bien pu se passer de vivre ».

  3. Je suis d’accord, c’est l’idée bouddhiste de l’instant présent qui est la seule realité, et à coté duquel on passe parce que notre esprit se débat sans cesse avec un passé qui n’existe plus, et un futur qui n’existe pas. Ou pour citer John Lennon, « la vie, c’est ce qui arrive pendant qu’on est occupé a faire d’autres plans ».

  4. De toutes façons, depuis que les autorités ont décidé qu’en vertu de la sacro sainte « heure d’été » (qui commence le 31 mars ah bon je ne savais pas que l’été commençait en mars) lorsqu’il est midi au soleil administrativement il est 14 heures, notre rapport au Temps est fondamentalement vicié.
    Message subliminal : notre civilisation désormais s’affranchit de la contrainte matérielle que constituent les fuseaux horaires, elle se « dématérialise » en quelque sorte.
    L’atterissage, ou le réveil lorsqu’il se produira, sera douloureux, foi de Chronos.

  5. Subtile tentative d’éluder une contingence de notre existence : l’être vivant traverse différentes étapes qui le construisent. Ainsi, comment nier qu’entre l’accueil du spermatozoïde par l’ovule et l’accueil du corps par la Terre-Mère, aucun temps ne se soit écoulé ? Le temps, c’est le mouvement. Sans mouvement, pas d’équilibre universel. Le temps est la réalité cosmique qui relie entre eux ses éléments. L’éternité (comme l’infini) est un concept qui permet à nos capacités mentales d’avancer dans l’analyse de la relativité en nous renvoyant vers l’insondablement petit. Une belle illustration en est le symbole du yin-yang.

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