Marquer son époque

J’aime lire les journaux d’écrivains ou de personnalités, pour y retrouver la « marque de l’époque » : untel s’insère dans le contexte de la guerre de 1870, tel autre entend gronder de sa fenêtre les obus de 14-18… Cette marque de l’époque est plus ardue à identifier depuis que les guerres se font à l’étranger entre professionnels, depuis que les peuples ne sont plus conviés à prendre part à l’Histoire mais simplement à y assister depuis chez eux.

Nous continuons néanmoins à établir des repères générationnels et chronologiques en nous inventant des événements suffisamment forts pour caractériser l’époque : « phénomènes cultes », « génération machin »… Mais plus le temps passe, plus la récolte est pauvre, moins ces repères sont imposants : l’un des derniers, cité aujourd’hui encore comme tel, est Woodstock – Woodstock qui, rappelons-le, n’était déjà plus qu’un concert ! Aujourd’hui on se rabat sur des choses toujours plus petites, au point qu’il nous faut enfoncer le clou, proclamer des slogans, de peur qu’elles passent inaperçues : « génération PUNK », « génération SIDA » ! « ENFANTS de la télé » ! « Génération Casimir » ! « Film culte » ! « Fils de pub » !

Cet effet d’annonce, cette auto-proclamation avant même que les faits le corroborent, nous vaut quantité de faux phénomènes. On trouve désormais des films qui sont « cultes » parce que leur génie s’avère d’une modernité inusable au terme d’un longue et discrète maturation, et d’autres qui sont « cultes » parce que c’est marqué sur la jaquette ! Un type ou un produit est à la mode pendant 1 mois alors on parle de « génération bidule ». Evidemment il dépérit aussitôt.

Sin City : film « culte » pour avoir utilisé le noir&blanc en 2005. Pour le reste : un imaginaire excessif et assez pauvre en vérité, où les hommes sont des salopards, les femmes toutes des putes, et où l’on dit « elle a l’odeur des anges » pour « elle sent bon », et « c’est les chiottes de l’Enfer » pour « ce coin est un taudis ».
Et voilà le film culte.

Faux phénomènes… Cela peut aller loin. Si vous avez une trentaine d’années, il vous est certainement arrivé de vous trouver dans un groupe qui soudain, joue à se souvenir des chansons ou dessins animés « cultes » de son enfance. Gare, alors, si vous ne vous souvenez pas de ces choses que vous êtes censé avoir adoré ! Il s’en trouve même toujours un pour évoquer un faux souvenir : manifestement, il n’a pas pu connaître ce dont il dit se rappeler, il répète quelque chose dont il a entendu parler. Son émotion est pourtant aussi vive et authentique que si elle lui était propre. C’est que la mémoire collective a forcé celle de l’individu pour y introduire ce faux souvenir. Ne riez pas : si vous avez une trentaine d’années aujourd’hui, vous n’avez probablement jamais joué aux billes ni vu personne y jouer. Vous ressentez pourtant une nostalgie d’écolier très vive au contact de cette image et de mots comme « callot » ou « agate » !

5 réflexions au sujet de “Marquer son époque”

  1. Comme d’hab je te suis, par contre je suis obligé de te contredire sur la fin : j’ai 30 ans, et j’ai passé mon enfance à jouer aux billes dans la cour de récreation. Et j’avais des agathes, et des « terre », et des « galaxie », et des « pépites », et des « porcelaines »… 🙂

    C’est peut être une question de région, tu as grandi où?

  2. Pour les dessins animés, je crois c’est clair : on finit par apprendre des génériques sans être bien sûr d’avoir vu les épisodes…
    Mais pour les billes, je rejoins Patrick (on a le même âge), j’ai comme preuve physique une boite à chaussure pleine de billes et callots qui traîne chez mes parents…

  3. 6 ans après, et maintenant que j’ai pour ma part 31 ans, j’ai aussi joué aux billes et je connais tous les noms dont Patrick parle plus haut. Bon, j’ai un frère de son âge aussi, mais euh, les billes, quand même ! Même mes neveux de 5 et 4 ans y jouent !

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