Cellophane

Lu sur le flanc d’une fourgonnette de vétérinaire, l’inscription-slogan :

« Vétérinaire, le partenaire santé de vos animaux »

J’ai aussitôt imaginé une époque, à venir, dans les années précédant le basculement définitif dans l’ère de l’Homme nouveau, où les gens commenceraient à perdre leurs notions de vocabulaire traditionnel et où il serait nécessaire, pour qu’ils saisissent, d’y associer la traduction en novlangue publicitaire, avec laquelle ils seraient plus familiers :

  • « Restaurant : le spot food pour vos pauses gourmandes »
  • « Guichet : votre point d’accès à l’expérience client »
  • « Maison de retraite : l’espace senior de votre fin de vie »

La version française serait sous-titrée, comme dans ces coins de folklore où la signalisation indique les patelins en français et à la fois en dialecte, basque, breton, alsacien…

Un florilège de ces expressions déshumanisées s’était loti, il y a quelques mois, dans les pages d’une brochure que j’ai eue en mains. Il s’agissait de la présentation d’un grand projet immobilier, l’une de ces infrastructures démesurées d’architecte mégalo, englobant résidences, galerie commerciale, espaces verts, le tout devant pousser de terre à partir de rien. Et dans le texte il était question de « quartier paysage », de « réinventer le plaisir de la ville », de « nouvelles expériences shopping », de lieux de « vie intergénérationnelle », de « smart ce-que-tu-veux » et de « parcours découverte ». Les images 3D représentaient une humanité béate et translucide, déambulant, ravie, dans une lumière blanche parmi des surfaces planes et des ficus géants.

themall-of-europe-centre commercial immonde« Europea – Mall of Europe »

Sans doute les promoteurs de la réalité s’inspirent, pour construire notre futur, de ce qu’ils voient au cinéma de science-fiction. Mais si l’on trouve à l’écran ce genre de cités en effet, il s’agirait de s’aviser qu’elles n’y sont que dans un but : y faire débouler un monstre marin ou un commando surarmé qui détruit l’endroit de fond en comble, en arrache des blocs à la grenade ou au laser, tire dans le dos des grands-mères et des innocents qui tentent de s’enfuir…

C’est ce qu’inspirent ces atmosphères sous cellophane à tout homme digne de ce nom. Plongé dans cet air pur et vicié, il cherche la sortie, il cherche la surface, il ne pense plus qu’à défoncer ces vitres et ce béton jusqu’à ce que réapparaisse enfin une motte de terre, ou quelque chose qui ne soit pas sorti de la tête du consortium de bétonneurs qui a conçu cet enfer.

Le rapport avec le fourgon de vétérinaire, me direz-vous ?

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