Respiro 2

Le film Respiro est l’histoire d’une petite île de pêcheurs sicilienne où une femme évidemment trop libre, trop entière par rapport à la vie tranquille du petit village, s’accommode mal de la conformité et des habitudes immuables des habitants. Rapidement, elle a besoin de « respiro » parce qu’elle étouffo. Sa liberté et son désir d’un ailleurs sont incompris et la font passer pour une hystérique ayant besoin de se faire soigner.

Le schéma est classique et l’on pourrait s’amuser à dénombrer les films et romans qui se basent dessus. Je n’ai rien contre, cela peut donner de belles histoires romantiques à l’occasion. Simplement il me paraît totalement désuet de faire pareil film à notre époque. Qui souffre encore d’un entourage trop conventionnel ? Qui plie sous le poids du regard réprobateur des autres ? Qui se sent étouffer sous l’inertie conservatrice et la pression sociale de son village ?

Ce type d’histoires plaide la « folie » des désirs et de l’individu contre la rugueuse sagesse populaire, mais de sagesse populaire il n’existe plus aujourd’hui. Il pouvait y avoir « sagesse populaire » tant que l’on faisait peser sur les gens l’idée qu’il y avait peut-être quelque chose de plus important que leur pomme. Ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, la sagesse populaire est justement que chacun vive sa belle vie comme il l’entend. La « liberté » que s’octroie la femme de Respiro (et que le film semble montrer comme un privilège) est justement ce qu’il y a de plus moutonnier de nos jours : c’est somme toute le régime que nous prescrivent la publicité et la société entière du matin au soir.

Ce qu’il faudrait aujourd’hui, ce qui ferait un grand film, c’est d’écrire l’anti-Respiro, le Respiro de notre époque : ce film où un héros isolé, à la monotonie suspecte, cherche désespérément des repères parmi une masse villageoise exaltée, émotive, où chacun fait des siennes et clame sa liberté, ayant perdu toute retenue, toute gêne, tout sens de la dette et de la conséquence. Ainsi ces adultes figés dans l’immaturité et l’égoïsme décomplexé. Ainsi cette mentalité d’ayant-droit, de client qui se sert, qui exige, qui consomme à tous les étages. Ainsi ce cri, cette obsession d’attirer l’attention publique sur soi… Dans Respiro 2, comme dans Respiro, la vie privée serait réduite à peau de chagrin, chaque habitant s’immiscerait dans celle des autres. Chacun céderait au jugement du groupe et des amis. Au bout du compte, les gens seraient de plus en plus remontés contre le comportement inadéquat du héros, qui finirait par faire scandale. On lui reprocherait de n’être « pas assez content ou pas assez triste »… Cela dérangerait et en fin de compte, lui aussi finirait par ressentir un vif besoin de « respiro » !

10 réflexions au sujet de “Respiro 2”

  1. « Qui souffre encore d’un entourage trop conventionnel ? Qui plie sous le poids du regard réprobateur des autres ? »
    Beaucoup d’humains, particulièrement du genre féminin…il suffit de lire ce qui se passe dans le monde, et même dans certains milieux près de nous…

    1. Qu’il y ait des femmes qui souffrent certainement, mais est-ce du poids de la collectivité ? Je parle bien sûr du point de vue d’un oeil français : il me semble qu’en 2012, même en rase campagne, nous n’en sommes plus à devoir nous émanciper de la norme pesante d’une population obtuse. D’ailleurs, les résumés qu’on peut trouver sur le film parlent souvent « d’un village qui semble ne pas avoir évolué depuis les années 50 », et c’est un peu ce que je reproche : le film est un peu anachronique. Il est un peu facile d’appliquer une grille de lecture moderne à une époque révolue où les gens n’avaient pas la capacité d’avoir cette vue.

  2. « De tous les conformismes, le conformisme du non-conformisme est le plus hypocrite et le plus répandu aujourd’hui. », Jankélévitch, Quelque part dans l’inachevé, 1978

    1. C’est sans doute presque rien, mais il y a un je ne sais quoi chez vous, comme un air de déjà-vu. Je me trompe Nathalie ?

  3. « Celui qui a été ne peut plus désormais ne pas avoir été ; désormais ce fait mystérieux et profondément obscur d’avoir vécu est son viatique pour l’éternité. »— Vladimir Jankélévitch, L’Irréversible et la nostalgie.
    😉

  4. Nouveau film avec Audrey Tautou donc voici le pitch
    « Dans les Landes, on arrange les mariages pour réunir les terrains et allier les familles. Thérèse Larroque devient Madame Desqueyroux; mais cette jeune femme aux idées avant‐gardistes ne respecte pas les conventions ancrées dans la région. Pour se libérer du destin qu’on lui impose, elle tentera tout pour vivre pleinement sa vie… »

    1. Haha ! Je ne sais pas ce que donnera le film mais il est tiré d’un roman de Mauriac qui m’avait plutôt plu. Dans mon souvenir, il s’agit d’ailleurs moins d’une histoire de conventions villageoises que d’un fait divers judiciaire : car quand on dit que Thérèse Desqueyroux « tente tout » pour vivre pleinement sa vie, on parle en fait d’une tentative d’empoisonner son mari !

  5. Belle analyse, mon Oeil. Le Respiro 2 dont tu parles, et le personnage réellement décalé qu’il aurait pour héros, c’est un peu un roman de Houellebecq, non?

    Sinon, oui, Respiro m’avait fait l’effet d’une histoire très immature, un truc pour adolescente des années 30, quand il était encore légitime de se dire « écrasé » sous le poids des convenances quand on habitait la campagne. Vu aujourd’hui, on se demande bien quel type de convenances la collectivité nous somme de respecter : une femme peut avoir des enfants ou pas, se marier ou pas, travailler ou pas, voter ou pas, devenir ministre de la justice ou pas, conduire un 44 tonnes ou pas, brouter des minous ou pas, faire du jet ski ou pas, diriger Areva ou pas, être cinéaste ou fille d’acteur ou pas, et enfin, elle peut (ou pas) changer de sexe. Alors, quoi d’autre ?

    1. Je n’ai pas lu assez de Houellebecq pour l’affirmer, mais oui, il y a peut-être un peu de ça. Quant à « Respiro 1 », c’est bien un problème d’inadéquation du script à son époque en effet : en soi, le film n’est pas si mauvais, le problème est qu’il soit réalisé à notre époque. Il arrive trop tard et fouette des chats qui n’existent plus aujourd’hui. C’est comme un peintre d’aujourd’hui qui ferait des tableaux de messieurs en haut-de-forme et de dames en frou-frou, dansant dans une guinguette de bord de Seine. C’est son droit évidemment, mais ce ne peut être l’oeuvre d’un « grand peintre ».

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