Fuir

Les incompris ne sont pas nés à la bonne époque, c’est bien connu. Ou bien ils sont étouffés par un milieu qui ne comprend rien.

Il est tellement plus pratique de déplorer son époque, d’accabler sa famille, de maudire sa société, de fuir sa condition… Tellement plus simple de se dire que ce sont les autres qui n’ont rien compris plutôt que de s’affronter, soi-même et ses responsabilités…

Fuir, ce n’est pas encore être libre.

13 réflexions au sujet de “Fuir”

  1. Fuir est parfois un courage. Un courage justement d’être confronté à soi-même, avec uniquement soi-même comme source de survie, de vie puis d’accomplissement de soi en tant qu’individu : individuation, c’est le nom de ce processus…
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    Je comprends le sens de « fuir » de cet article : c’est mettre sa tête dans un trou, tel l’autruche et réduire à une tâche aveugle les noeuds relationnels et le jeu d’acteur que nous tenions au sein d’une famille, d’un milieu que nous avons vécu comme étouffant, limitant, usant, « bonzaïsant » etc.
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    Mais fuir c’est aussi le fruit d’une nécessité, la fuite qui se transforme en voyage vers soi-même, c’est le mouvement vers soi. Oui, comme le récit de Moïse dans l’Exode. Je vous laisse allez voir çà sur le Net. Et sans aller si loin, Van Gennep, dans son étude des rites de passage l’a bien fait ressortir :
    « Selon Arnold van Gennep, le rite de passage se déroule le plus souvent en trois étapes :

    – la séparation (l’individu est isolé du groupe),
    – la marge ou liminalité (moment où s’effectue l’efficacité du rituel, à l’écart du groupe),
    – l’agrégation (retour dans le groupe). »
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    Il y a fuir et fuir. Et fuir pour un individu donné, hors ou loin de sa famille a des ressorts et des motifs qui ont leurs racines profondément ancrées en lui. C’est complexe.
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    Si l’issue de cette fuite, c’est un retour vers le « clan » ou le groupe de référence ayant été vécu comme étant incapable de nous comprendre – car on parle bien des « incompris » – donc un retour avec une nouvelle dimensions en soi qui ne rejette ni ne s’attache trop à ce groupe, est plutôt sain. Je pense toujours à l’exemple de Moïse, peu importe que ce récit vienne de la Bible ou d’un autre ouvrage ancien (pour moi çà reste un ouvrage ancien, ayant la même valeur socio-historique que le Tao-Te-King ou la Magna Carta.
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    Donc fuir…oui, mais pourquoi ?
    Là est la question…

  2. La fuite ne manque en effet pas de charme ni d’arguments en sa faveur. Elle est instinctive : c’est une inclination naturelle. Le 1er réflexe est de fuir.
    Il ne s’agit pas de bannir la fuite dans sa totalité mais d’avoir en poche ce petit talisman (« fuir, ce n’est pas encore être libre ») pour se botter les fesses dans les cas où fuir n’est pas la solution. Dans les cas où l’on a besoin de courage pour lutter contre ce penchant, cette facilité.

  3. En revanche, ce que vous dites sur le rituel du mouvement vers soi, cette idée de boucle : s’éloigner puis revenir, est certainement vrai. Sans doute n’aurais-je pas été en capacité de penser le fond de ce billet si je ne m’étais pas éloigné avant. Il s’agit bien d’un regard en arrière. D’un retour.

  4. « Fuir, ce n’est pas encore être libre. »
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    Çà sonne très juste pour moi car je mets cet aspect des choses directement en lien avec mon commentaire : fuir, ce n’est pas encore être libre, c’est plutôt partir pour assumer la liberté, aller à la rencontre de soi sans être entouré de la gangue protectrice du réseau de gens connus dès l’enfance, qui nous renvoie une image de nous qui est une vérité, la leur.
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    Apprendre à se connaître, loin d’eux, partir et confronter la vérité qu’ils nous ont renvoyé (mélangée avec celle qu’on s’est forgé de nous-mêmes à leur contact) avec celle renvoyée par d’autres, rencontré plus loin, ailleurs.
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    Fuir, ce n’est pas encore être libre, c’est plutôt se mettre en situation – que l’on en soit conscient ou pas d’ailleurs ! – de découverte de notre liberté et de notre pouvoir sur notre propre trajectoire. C’est découvrir la responsabilité individuelle, parce que la liberté c’est çà : c’est être responsable, et non plus victime…

  5. La gangue protectrice, même si elle est pathogène, reste une protection. C’est paradoxal, certes, mais tant qu’on est pas sorti du « tableau » dans lequel on a grandi, on ne peut le voir tel qu’il est réellement.
    Que ce tableau soit une scène tragique, bucolique, de crime ou autre, elle reste une protection tant qu’on en est pas sorti : une protection contre le choc de se rendre compte d’où on vient justement, et contre le choc de se savoir SI responsable de soi-même.
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    Choc de comprendre que le premier à ne pas nous comprendre, c’est nous-même.

  6. Il y a certaines phrases comme ça qui mettent un bon coup de pied… Cela me fait penser à Laborit, pour qui la fuite est active, créative, et constitue la troisième voie si l’on ne veut ni combattre ni se soumettre.

    1. Il y a cette 3ème voie en effet, que j’ai longtemps regardé d’un bon œil mais dont je commence à douter parfois. Il existe tout une littérature et un arsenal philosophique pour se convaincre qu’on a raison de fuir, qu’on fait bien de rester sur le côté, dans l’observation, en recul… J’ai parfois l’impression que tout cela est un prétexte confortable pour justifier son inaction (flemme ? timidité ? lâcheté ?), son incapacité. A-t-on vraiment une autre possibilité entre combattre et se soumettre ? Le tenant de la 3ème voie, en dernière analyse, n’est-il pas un soumis ? Un soumis qui ne veut pas ravaler son orgueil malgré sa défaite ? Un soumis qui a « mis les pouces » ? Questions pour ma part ouvertes… ou mal fermées !

      1. Si j’ai bien compris ce que dit Riton, la fuite ce n’est pas rester en observateur, mais bel et bien agir, choisir sa propre voie qui ne se situe ni en opposition ni en acceptation, ce n’est pas confortable. Pour prendre l’exemple d’une entreprise où les choses se passent mal, combattre ce serait se syndiquer ou faire grève, se soumettre consisterait à laisser faire et déculpabiliser par le cynisme et les critiques à la machine à café, la fuite ce serait de démissionner et créer sa propre boite.
        Ceci dit, je suis le premier à me cacher derrière une pseudo fuite qui est plutôt un pas en retrait. La fuite n’est un prétexte que si elle est une soumission déguisée.
        Désolé mais je tiens à cette idée, même si je n’y parvient pas, j’ai besoin de savoir qu’une (véritable) fuite est possible. Le doute viendra peut être avec le temps…

  7. Je crois trouver un point qui nous rassemble, Vitally, celui-ci : la fuite a valeur de chemin, non de démarche en soi.
    Je connais le cas de personnes qui ont fait de la fuite la marque de fabrique de leur soi-disant indépendance d’esprit. Au point qu’ils en sont prisonniers. Désormais, devant un choix, ils ne prennent pas l’option de ce qu’ils veulent vraiment, mais l’option qui ressemble le plus à la liberté-fuite, celle qui envoie bouler la volonté des autres, le reste de la communauté.

    1. Aaah d’accord…je comprends mieux le sens, sémantiquement parlant, de la fuite dont tu parles. Et c’est vrai, pour moi la fuite est une démarche de confrontation avec soi. J’en parle avec tant de conviction car c’est là tout le thème majeur de mon propre Blog.
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      Pour moi, fuir c’est plutôt partir. Accepter qu’il est temps d’utiliser ses propres ailes pour voler. C’est dur, mais c’est nécessaire et plus sain à la longue. Car quand on revient – je tiens vraiment à ce retour vers le « clan » – on a une autre approche envers ceux que l’on rendait responsable de toutes sortes de malheur et de tristesse dans notre vie. Et sans aucun doute sommes nous incompris par ceux et celles qui nous connaissent depuis le plus de temps, depuis que nous sommes arrivés dans le monde.
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      Oui sans doute…
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      Et je te rejoins : l’attitude de partir en claquant la porte. Fuyant leur propre reflet dans le miroir des circonstances. Afin de choisir, se choisir. Je comprends mieux ce que tu dis quand tu parles de liberté-fuite…
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      As-tu un exemple de personnage de livre, de film, de BD ou autre qui pourrait illustrer ce comportement-type ?

  8. Bonne question ! Ca mériterait d’y réfléchir pour trouver des exemples probants, mais là comme ça je pense au « Voyage au bout de la nuit » de Céline. Pour moi, le héros de ce roman est dans la fuite des événements et des lieux qu’il traverse (je t’invite à lire le 1er commentaire de mon article « Oeil sale » dans lequel j’en parle déjà), et dans les faits, c’est très certainement lui-même qu’il fuit.
    La solution de « foutre le camp », qui peut parfois être une bonne solution ou en tout cas être riche, est également toujours le moyen de s’épargner une remise en cause personnelle. Ex : « je démissionne de cette boîte de merde ! » mais dans les faits, je ne me débarasse pas de cette petite particularité personnelle qui a peut-être été la cause du problème. Je recommence dans une nouvelle boîte, mais je suis toujours le même et les gens sont toujours les mêmes, le fonctionnement de l’entreprise est toujours le même.
    Je vais réfléchir à d’autres exemples littéraires ou cinématographiques.

  9. Si je résume bien ce que vous dites, fuire c’est surtout savoir revenir qui implique à mon avis de mettre de côté son orgueil et qui exige une certaine lucidité. La fuite est ainsi une méthode de connaissance de soi.

    Un exemple pourrait être l’image du fils prodigue du nouveau testament (j’ai essayé de trouver un autre exemple non religieux mais celui ci me paraissait le plus fort)

    Un contre exemple pourrait être alors le personnage principal du film « into the wild ».

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