Recettes qui marchent à tous les coups

Il y a quelques années, je m’étais amusé, une après-midi d’ennui, à prendre en photo différentes choses dans la rue que je pointais avec la télécommande de ma télévision. Idée merdique s’il en est. Sauf que, mises bout-à-bout, regardées en série, ces photos finissaient par produire un effet : tout à coup, il y avait concept ; l’idée merdique, appliquée en série, devenait quelque chose d’intéressant en soi comme peuvent l’être ces démarches-artistiques-qui-interpellent-le-spectateur. Tout à coup, v’là t’y-pas que j’avais produit une critique sans concession de la société du zapping, de la marchandisation du monde, ou de tout ce qu’on veut bien y voir d’autre. Le résultat, s’il n’avait aucune valeur à mes yeux, avait tout à fait sa place dans une petite galerie contemporaine.

trouver une idée-concept + la décliner en série
= démarche intellectuelle et artistique

Il y a comme cela, à l’usage de qui veut,  des recettes qui marchent à tous les coups :

Pour produire une œuvre chargée de sens et qui invite à la rêverie : faites un tableau relativement vide et ajoutez 2 ou 3 mots inscrits, sans rapport entre eux qui flottent sur la toile.

Pour produire une  œuvre qui dérange : faites un tableau naïf et coloré et ajoutez un détail salace ou une croix gammée. Variante pour une œuvre qui questionne la morale judéo-chrétienne : associez une bible ou un Jésus à de l’urine, de la merde, ou de la pornographie.

“cheeseburger+télé+bible+bidon d’essence” :
voilà un sacré coup porté à la société de consommation !

Pour faire un portrait profond : peignez ou photographiez quelqu’un qui fait la gueule.

Pour obtenir la sensation de malaise : faites entrer dans le jeu un enfant bizarre (blême, triste, muet, exceptionnellement intelligent…).

Pour un récit poignant plein d’humanité et de vérité sur la vie : montez une histoire autour d’un débile léger. >> Démonstration en images : Simple Jack, la bande-annonce

Pour donner l’illusion que vos petites compos rock ont du relief : intercalez au milieu de votre morceau une pause soudaine où les instruments s’arrêtent 1 ou 2 secondes… puis repartez de plus belle.

Etc.

Les recettes qui marchent à tous les coups, comme leur nom l’indique, marchent à tous les coups : c’est-à-dire que, de la même manière que si je me cache derrière vous et que je fais « bouh », vous allez mécaniquement sursauter, ces recettes produisent un effet automatique sans avoir à convoquer le moindre talent de réalisation. Juste « Bouh ».

9 réflexions au sujet de “Recettes qui marchent à tous les coups”

  1. ne pas confondre art, et déco/pub qui exige en effet de faire passer des intentions – mais en art, tu ne crois pas à la sincérité ?
    PS j’aimerais que tu montres une illustration de de que tu as fait avec ta télécommande, je ne vois pas bien – je crois savoir qu’avec un portable on peut tout faire, mais une zapette ?

    1. Non non, je ne photographiais pas avec la télécommande ; je photographiais ma main pointant la télécommande sur un objet dans la rue : voiture, publicité, plaque de nom de rue, personne marchant devant moi sur le trottoir… Puissant non ? 🙂 Mais tu n’auras pas le loisir d’admirer cette oeuvre car je ne l’ai pas conservée…
      Je crois à la sincérité d’un Duchamp mais je le considérerais comme un intellectuel qui a eu une réflexion sur l’art plutôt que comme un artiste. Je crois moins à la sincérité d’un Warhol ou à celle de beaucoup d’artistes contemporains. Tous ne sont sans doute pas des charlatans, certains croient certainement qu’ils font de grandes choses… Mais c’est vrai que je vais avoir tendance à déclasser tout art dont le point de départ est purement et seulement intellectuel ou conceptuel. Une « idée », aussi forte et aussi probante soit-elle, n’est pas de l’art.

  2. Et ça marche d’autant mieux quand l’œuvre est accompagnée de la fastidieuse et prolixe masturbation intellectuelle, vous savez cette logorrhée ou ce gros pavé de texte qui vient vous apprendre ce qu’il faut y comprendre, vous béotien.

    Les répétitions ( http://img2.scribdassets.com/images/documents/832467/large/e88a601d96 ), le trash ( http://jezebel.com/5494634/meet-terry-richardson-the-worlds-most-fked-up-fashion-photographer ) et autres conneries fonctionnent facilement en effet, je ne sais pas l’expliquer, ça aurait été bien de préciser votre idée en plus de constater.

    J’aime beaucoup votre « oeil ».

    PS : http://fr.wikipedia.org/wiki/Merde_d%27Artiste

    1. Oh oui, je vois très bien ce que vous voulez dire par « fastidieuse et prolixe masturbation intellectuelle », puisque j’en ai fait un article d’après un fait qui m’est arrivé : https://unoeil.wordpress.com/2010/08/14/anachronisme-culturel/
      Expliquer pourquoi ces recettes marchent ? Eh bien je pense vraiment que ce n’est pas plus sorcier que ce que je dis : une blague avec Hitler choque, un enfant inquiétant dans un film provoque du malaise, un type qui glisse sur une banane provoque le rire… C’est comme ça : c’est nul mais ça marche, ce sont des facilités…
      Pour ce qui est des séries et des répétitions, l’explication est peut-être celle-là : une série fait mécaniquement « réfléchir » parce que vous allez chercher à en trouver la logique, les points communs, là où elle veut en venir… Ex. : Magritte inscrit des mots sur une toile : votre cerveau va naturellement les lire, les associer et chercher le lien qu’ils entretiennent. Votre cerveau est lancé alors vous avez l’impression que c’est l’oeuvre qui est riche et « intelligente ». Mais peut-être que l’oeuvre n’a aucun sens et qu’elle fait tourner votre cerveau à vide ? Ce qui intéresse Magritte, ce qui intéresse la plupart de l’art contemporain minimaliste, ce n’est pas de créer du sens mais de vous en faire chercher. C’est très facile de faire réfléchir quelqu’un : si je vous dis une chose puis son contraire, vous allez réfléchir à la cohérence de mon comportement. Si je vous donne une clé ronde pour ouvrir une serrure carrée, vous allez réfléchir. Bêtement, mais réfléchir. La soupe Campbell vous fait réfléchir : c’est un petit mécanisme-piège qui veut faire tourner votre cerveau et qui y arrive très bien. Comme le type qui marche sur une banane, c’est une facilité.
      Merci en tout cas de votre lecture et bienvenue sur Un Oeil.

  3. bien vu, cela fait penser à certaines visites de musée d’art moderne, où ce qui finit par attirer l’oeil, c’est le regard médusé et l’air de faire des efforts de compréhension des visiteurs, tandis que nous visitions, pliés en quatre, mais n’est-ce pas la bonne attitude au fond ?.

    1. Ca me rappelle l’expo du Grand Palais sur Gustave Courbet, qui comprenait une salle sur « L’origine du Monde » ; des petits lorgnons étaient fixés au mur et quand on se penchait pour regarder, jaillissait à une photo de vagin, avec un jeu optique en relief… La réaction des gens était très drôle : le visiteur parcourait la salle à pas de grue, l’air intéressé, trouvait ces bidules, jetait un oeil dedans et reculait brusquement, surpris par l’image et vérifiant immédiatement autour si quelqu’un l’avait vu voir… je ne sais pas si c’était l’effet voulu mais c’était très réussi !

    1. Attention, j’ai procédé en toute discrétion et dans le respect de mes sujets ! Aucun animal n’a été blessé… Je ne dis pas en revanche qu’il n’y ait pas eu quelqu’un me voyant depuis une voiture pour se dire « qu’est-ce que c’est que ce con… » 🙂

  4. Vous avez réchauffé l’atmosphère et troué la couche d’ozone avec les rayons infrarouges de votre zapette. Vous êtes un criminel climatique. Il y a clairement un vide juridique concernant des gens comme vous.

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