Quand « comme par hasard », tout concorde

Dans son essai sur l’amour (De l’amour), Stendhal évoque le phénomène intéressant de cristallisation : ce moment de la rencontre amoureuse où tout, chez l’être aimé, devient charmant. Sa chevelure, son sourire, le moindre de ses traits, mais aussi ses défauts : son travers caractériel, son grain de beauté au milieu du nez…

Ce n’est pas tout à fait que l’amoureux perd sa capacité critique, c’est qu’il est comme fasciné, il aime la personne dans son essence et il n’est plus temps de faire un tri mesquin, de minauder, de raffiner son choix…

Stendhal note par ailleurs que :

  • la cristallisation est réversible. Quand on a pris quelqu’un en grippe, quand on a décidé de le détester, le moindre de ses gestes nous devient intolérable. Le même mot, anodin dans la bouche d’un autre, écorche notre oreille quand il vient de la personne qu’on a dans le pif !
  • le phénomène dépasse le cadre purement sentimental. Telle musique, par exemple, qu’on écoute sous un certain aspect, devient tout à coup génialissime, transcendante dans la moindre de ses notes… Ou tel personnage qu’on découvre devient « le plus grand génie de tous les temps », jusque dans sa façon de tenir son journal, etc.

C’est là que ça devient intéressant : car il est vrai qu’on peut reconnaître la cristallisation chez toute personne qui « s’entiche de… ». Le jeune esprit qui découvre Marx voit tout à coup des spoliations partout autour. L’étudiant qui s’intéresse à la psychanalyse aperçoit tout à coup des symboles incestueux et castrateurs dans chaque recoin de la réalité. Et si vous avez découvert une façon de voir les choses qui vous a séduite, vous allez, dans les jours ou les semaines qui suivent, en trouver de nombreuses confirmations « objectives » dans le quotidien.

On fait un constat, on s’intéresse à un aspect des choses, et tout à coup cet aspect ressurgit partout dans la nature. « Comme par hasard ! » Et n’importe quel bouquin, n’importe quelle discussion semble alors nous parler justement de cela. On se dit alors « c’est bien vrai, tout cela se retrouve dans la réalité »… Alors que rien n’est dans la réalité et tout est dans le prisme à travers lequel on regarde le monde désormais.

Stendhal nous dit que notre passion « cristallise » ainsi tant qu’on ne connait pas son « pourquoi ».

7 réflexions au sujet de “Quand « comme par hasard », tout concorde”

    1. Ce n’est pas tout à fait qu’on zoome, qu’on grossit le détail pour ne voir plus que lui. On voit le reste, mais soudain on ne le voit plus qu’à travers un angle « déformant ». On a l’impression que tout ce qu’on regarde d’autre a un rapport avec « ça ».
      J’ai retrouvé la définition exacte de Stendhal lui-même : « ce que j’appelle cristallisation, c’est l’opération de l’esprit qui, de tout ce qui se présente, tire la découverte que l’objet aimé a de nouvelles perfections ».

  1. my two cents: ça rejoint les concepts psychologiques de « correlations illusoires », « effets de halo », et « biais de confirmation », entre autres : nous percevons la réalité a travers un filtre cognitif, qu’il soit culturel, sentimental, technique… pour le coup d’entendre ou d’apprendre quelque chose, puis être confronté à cette chose sans cesse dans les jours qui viennent, on parle aussi d’effet « Baader-Meinhoff ».

  2. Ce n’est pas tout à fait qu’on zoome, qu’on grossit le détail pour ne voir plus que lui. On voit le reste, mais soudain on ne le voit plus qu’à travers un angle « déformant ». On a l’impression que tout ce qu’on regarde d’autre a un rapport avec « ça ».J’ai retrouvé la définition exacte de Stendhal lui-même : « ce que j’appelle cristallisation, c’est l’opération de l’esprit qui, de tout ce qui se présente, tire la découverte que l’objet aimé a de nouvelles perfections ».
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