L’ignorance de ce qu’est lire

Chez certaines personnes, l’ignorance de ce qu’est lire un livre se ressent à la façon dont elles viennent à côté de vous et peuvent vous interrompre dans votre lecture une fois, deux fois, trois fois, pour un oui pour un non, sans penser le moins du monde qu’elles font là quelque chose de criminel.

Jardinier à moteur

tondeuse emmerdeur

A la belle saison, dans chaque village, dans chaque hameau, lorsqu’au cours de la matinée le soleil est enfin dévoilé et que l’on pourrait entendre les oiseaux et le bruissement du vent dans les feuilles, un type se dévoue sur les coups de 11 heures pour activer une tondeuse, un souffleur, un rotofil, n’importe quel outil capable de faire le bruit d’une mobylette.

La plupart des bonshommes qui jardinent ou entretiennent aujourd’hui ne savent guère travailler autrement. Rien ne les intéresse d’autre dans l’atelier que ce qui crépite, vrombit, ce qui crache et sent le pétrole. C’est comme s’il était impérieux pour eux de saccager le silence et qu’il ne reste surtout plus un coin de campagne où ne résonne à l’horizon le ronflement d’un engin.

Plus de cisailles mais un taille-haie. Plus de râteau mais un souffleur de feuilles. Le moindre clampin dispose désormais du même attirail que l’employé municipal pour tenir toute la commune. Et moins il s’y connait, plus il se motorise ; il se précipitera sur le souffleur avec d’autant plus de hâte qu’il a plu toute la nuit, que les feuilles sont mouillées et que ses efforts sont inopérants, son bourdonnement pétroleur absolument inefficace.

S’il prend une mine laborieuse, assis sur sa tondeuse, le sourcil ployé sous la responsabilité de manier l’engin dangereux, affectant de prendre pour lui la besogne vraiment sérieuse, ne nous y trompons pas : le jardinier à moteur dissimule comme il peut le fait qu’il soit ni plus ni moins en train de jouer au tracteur, tel un gosse bousilleur.