« Une espèce d’état de possession collective »

La discussion basée sur des arguments de raison ne demeure possible (…) que tant que le potentiel émotionnel inhérent à la situation n’a pas dépassé un certain seuil critique. Au-delà, (…) la raison fait place à une espèce d’état de possession collective qui se propage à la manière d’une épidémie psychique. Quand les choses en sont là, surgissent ces éléments troubles de la population qui, en tant qu’éléments asociaux, menaient une existence tout juste tolérée tant que régnaient les normes de l’ordre établi. Ne pensons pas que de tels individus ne constituent que de rares curiosités que l’on ne rencontre que dans les prisons ou les asiles. (…) Pour tout malade mental manifeste, il existe au moins dix cas de folie latente ; si cette dernière n’explose pas fréquemment, il n’en demeure pas moins que les conceptions, les comportements et le rayonnement social de ces êtres se trouve sous l’emprise d’influences inconscientes, maladives et perverses bien qu’ils présentent toutes les apparences du normal. (…) Leur état d’esprit correspond à celui d’un groupe ou d’une masse en état d’excitation collective, en proie à des préjugés affectifs et à des phantasmes qui les portent alors à prendre leurs désirs pour des réalités. Au sein d’une telle masse, les éléments asociaux sont les adaptés. (…) Leurs idées chimériques, sous-tendues par des ressentiments fanatiques, en appellent à la déraison collective.

Carl Gustav Jung dans Présent et avenir.

Être plus fou que le fou

Dans le métro, un dimanche soir, 23 h, un fou est dans le même wagon que vous. Un jeune, casque sur les oreilles, visiblement alcoolisé, qui arpente les voitures en fumant un pétard, parle seul à voix haute, chante, s’adresse à lui-même… Il fait des tractions et des cabrioles sur les barres et les poignées. Il a l’air heureux d’être fou devant les autres. Il est dans un état second. Dans un autre monde.

Mais à la station suivante, monte un autre fou ! Personnage grand, posé, patibulaire, lunettes fumées sur les yeux… Qui lui vole la vedette ! Il tient dans une main une bouteille de vin rouge et dans l’autre un verre à pied cassé. Et il se sert comme cela de petits verres successifs, qu’il déguste du bout des lèvres à même le verre brisé. Il sirote avec le plus grand calme et la plus grande distinction, à même le verre coupé, sans ambage.

Le jeune fou est médusé. Subjugué. « Attends t’es ouf toi, trop fort ». L’autre le toise de façon princière, lui propose de s’asseoir à côté de lui et de trinquer. Le jeune fou est fasciné. Son numéro de fou à lui est automatiquement ruiné, anéanti ; il l’a stoppé instantanément. Voici un fou qui s’est fait doubler par la gauche. Et voici une solution parmi d’autres pour claquer le bec d’un bousilleur : être plus fou que le fou.

C’est d’ailleurs le principe utilisé pour éteindre les puits de pétrole en feu : jeter de l’eau ne servirait à rien, il faut faire péter une énorme explosion au pied de la flamme, ça vous souffle net l’incendie. Et puis c’est marre.