Gainsbourg et son Gainsborough

Plongée estivale dans la musique et le personnage de Gainsbourg. Bien que ses chansons m’aient souvent séduites ou amusées, je n’avais jamais vraiment écouté d’album en entier, ni approfondi le bonhomme au-delà de ce que l’on sait généralement de lui.

Musicalement, j’en pince davantage pour le Gainsbourg des jeunes années, ses petites chansons méchantes et élégantes, que le Gainsbarre sulfureux qui inspirait davantage la décrépitude et la saine distance à l’enfant que j’étais quand il sévissait encore. La mémoire télévisuelle fait souvent cas du second, « provocateur de génie », mais le fabuleux matériau d’archives et interviews d’internet permet de réconcilier les deux facettes, et de retrouver le Gainsbourg véritablement intéressant entre Docteur Jekyll de Saint-Germain-des-Prés et Mister Hyde des chansons salaces et des plateaux télé.

Moment privilégié dans les coulisses de la création de Initials B.B.

Ce Gainsbourg-là, pas tout à fait méconnu mais souvent évoqué accessoirement, est l’artiste en proie à son époque, plus proche d’un Baudelaire ou d’un Flaubert que d’une rock star ou d’un chanteur de variété, qui nourrit une certaine idée de la musique, déplore l’avilissement de celle-ci dans la mode yéyé et l’influence anglo-américaine, mais qui finira par se renier de plus ou moins bon cœur pour écrire des tubes aux starlettes-mêmes qu’il avait toujours conspuées. « J’ai retourné ma veste quand j’ai vu qu’elle était doublée de vision », dira-t-il dans une phrase célèbre.

Cette interview le cueille à ce moment précis ; la journaliste, presque navrée de son évolution, lui demande des comptes, et Gainsbourg, encore timide, ne devine pas l’effet qu’aura ce choix de vie sur lui-même, à terme.

Damné d’être parvenu à percer et briller dans un domaine qu’il méprise – « la chanson », condamné à abâtardir son art sous les applaudissements, il prendra la pente du cynisme. Ses chansons et prestations semblent dès lors données au public comme la version de ce que celui-ci veut entendre rehaussée d’une pointe de son génie musical, livrées comme un âne décoche un coup de sabot au passage, ou comme on flanque une cuillère de confiture dans l’auge des cochons. Ce combat avec l’époque se traduit dans sa façon d’entreprendre toutes les modes musicales au moment où elles se présentent – jazz, rock, disco, reggae, funk… – pour les « pervertir » et en faire quelque chose d’autre, de personnel, à la fois pastiche et consécration.

Il payera le prix de cette pantalonnade par l’auto-destruction. En cela, ses débordements télévisuels sont moins les « coups de génie » que l’on veut y voir que des coups de canif dans le canot pour dévier les regards d’une farce tragique. Mais à ce petit jeu, c’est l’époque et la télévision qui gagnent : arrivé aux années 80, il ne se trouverait même plus de journaliste délicate et attentionnée pour regretter avec lui sa trahison : seulement un gros Ardisson rivalisant de vulgarité, un Canal+ ravi de se rouler dans la fange décadente avec Gainsbarre, malgré sa teneur toujours moins dense en confiture.

Sur place ou à emporter

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Le cinéma traditionnel, lorsqu’il est bien fait, vous laisse un peu étourdi à la sortie du film. Vous rentrez chez vous et le récit et les images continuent à vous travailler, à faire leur œuvre dans votre esprit, pour ne cristalliser que plus tard, en un souvenir durable modelé par votre propre interprétation.

C’est le cinéma « à emporter », et c’est la raison pour laquelle il est si horripilant d’entendre, en sortant de la salle de projection, la personne derrière vous déjà occupée à commenter, analyser le film et juger de ce qui est réussi ou raté, alors que vous aimeriez vous maintenir encore un peu dans la « bulle » du film.

Par opposition, le cinéma « sur place » sont ces films de plus en plus courants, entièrement pensés pour l’immédiat, calculés pour en foutre plein les mirettes, pour en donner pour son argent et étourdir le temps de la projection. Ce type de films ne repose plus sur grand-chose en termes d’histoire et de profondeur. Il n’en reste absolument rien quelques heures plus tard et même ceux qui les ont encensés à leur sortie seraient gênés que vous leur fassiez relire leurs éloges six mois plus tard.

La 3D favorise ce type de films. Après tout, pourquoi pas s’offrir un bon coup de spectacle. Ce ne serait pas un problème si ces mêmes films n’essayaient pas malgré tout de se faire passer pour des chefs d’œuvre. On invente à Spiderman une histoire de frère mort quand il était jeune et l’on parle tout à coup de « film psychologique ». Des films qui, il y a 20 ans, n’auraient pas prétendu à autre chose qu’au rang de « nanard correct de l’été », s’annoncent désormais comme le film de l’année, tutoyant le film d’auteur et emballant massivement et le plus sérieusement du monde des troupes de « cinéphiles ».

Le public a développé son attente pour ce type de films : d’un film de super-héros en collants, il n’espère plus seulement de belles explosions ou de bons coups de poings, il proclame que c’est un chef d’œuvre, le nouvel étalon à égaler pour les cinéastes des prochaines années… Il a intégré également que ce film a déjà prévu une « suite » en cas de succès commercial. La fin en queue de poisson ne suscite pas sa déception, mais au contraire l’espoir d’un « sequel », d’un « préquel » ou d’une « trilogie ».

C’est le cinéma à consommer sur place, qui va à merveille avec ce que sont devenues les salles de cinéma, avec leurs sièges à pop corn, leurs empiffreurs de Magnum et leurs buveurs de Coca. Ce public quitte la salle dans un gros rot, le seau de pop corn renversé à terre, consultant sur son smartphone quand sortira le « 2 ».