Mari vaut bien une messe

Une messe de mariage, ce n’est jamais aussi long que lorsque les mariés eux-mêmes n’en ont manifestement rien à foutre mais se la sont infligée, comme figure obligatoire. Résultat : une heure à passer dans une ambiance étouffante, parmi des gens dont on se demande ce qu’ils font là – à commencer par le marié qui fait tout pour montrer par ses œillades qu’il est désolé de nous retenir ici et que « vivement que l’curé ait fini, qu’on aille s’en jeter un ! ».

tourner serviettes

Que ne s’est-il dispensé de messe ? On ne le saura jamais. Il y tenait quand même. Ça se fait. Et dès que l’église et le curé furent trouvés, les mariés n’ont eu de souci que de désacraliser la cérémonie à tout prix par le truchement d’animations diverses destinées à la rendre moins ennuyeuse selon leurs critères.

Ainsi le cirque démarre, en grandes pompes cirées. Désormais, ce ne sont plus de simples appels au recueillement que le prêtre doit faire observer. : il doit supporter la circulation permanente de la vidéaste et du paparazzi pendant l’office, qui chacun cherche à choper l’angle de vue inédit. Il doit tolérer le tohu-bohu au moindre temps mort dans la célébration, ou encore laisser le frangin de la mariée remplacer une lecture biblique par un texte de son cru, ou insérer la citation d’une auteur américaine dans le goût de « dans un couple, faut pimenter le quotidien, chasser la routine et toujours se surprendre »… Enfin, il doit tempérer les applaudissements de la foule qui hulule quand les mariés se roulent une pelle hollywoodienne, et point d’orgue : écouter s’élever le long des colonnes de sa cathédrale les accords sacrés de I do it for you de Bryan Adams ! Encore est-il heureux que l’assemblée, en entendant ce hit, se contente d’un début de hola sans aller plus loin dans l’hystérie.

Voilà l’étendue des dégâts, et elle est d’autant plus surprenante à observer quand elle touche des milieux ruraux, agricoles… où selon l’idée que je me fais, chacun a assisté à un bout de messe, pénétré dans une église une fois dans sa vie pour avoir l’intuition approximative de l’attitude à observer. Comment arrive-t-on à ce qu’une foule entière soit privée de l’instinct le plus simple de ce qui se fait et de ce qui ne se fait pas ? Comment, même laïcisés, les enfants d’une religion peuvent-ils lui devenir étrangers au point de ne plus avoir aucune solennité ? En vérité, on ne pourrait pas se comporter de façon beaucoup plus inappropriée en débarquant, radicalement ignorant, dans le temple d’une religion inconnue, et il existe peu d’autres cultures et d’autres religions dont les héritiers, ayant oublié les rites, se sentent aussi libres de les saccager par manque de retenue.

Alors pourquoi ces mariés pour qui la messe est une tannée, fût-elle celle de leur mariage, persévèrent-ils à infliger leur présence à un prêtre et une église ? Pourquoi entament-ils une démarche religieuse si tout ce qu’ils veulent entendre, c’est I do it for you ? Pourquoi refaire à l’église la foire qui a déjà lieu à la mairie et à la fête le reste de la journée ? C’est que l’église fait partie du folklore : elle est un bullet point parmi les autres sur la to do list de la wedding planner que l’on paye pour épuiser son budget mariage.

wedding-planner« Tes paupières sont lourdes… Et maintenant tu vas me donner ton argent… »

Il y a un budget et il faut le claquer : « animer » la journée un maximum ! D’où l’église, où l’on fait venir à grand frais un groupe de gospel qui chantera Amazing Grace, comme dans son film préféré. D’où le dispositif média incluant le photographe, la vidéaste, ainsi qu’un drone à hélices qui fait des films en vol plané, des écrans numériques diffusant les photos prises l’heure d’avant, des cartons d’invitation hi-tech, un livre d’or avec photos des mariés sur papier glacé façon « Dieux du Stade » ! Dans tout cela, l’église reste le décorum incontournable d’un mariage réussi. Si on avait les moyens, on en reconstituerait une en studio, pleine de fleurs et de tulle, pour se lâcher plus complètement sur des tubes crémeux et romantiques sans avoir à composer avec l’Curé.

11 réflexions au sujet de “Mari vaut bien une messe”

  1. L’apparition des rites (funéraires) est considérée comme le début de l’humanisation? Peut être que le passage du rite au show signe l’avènement d’une nouvelle phase de l’évolution ?

  2. merci pour ce magnifique billet, je partage tout à fait votre opinion et m’en désole, mais surtout… bravo pour le titre !

  3. oups, j’oubliais : comme je vois que vos articles sont plutôt irréprochables en termes d’orthographe, je me permets de vous suggérer la correction suivante : infligée s’accorde au féminin avec le pronom « la » qui représente la messe. bonne continuation !

    1. Ah, merci, j’avais hésité : c’est l’une de ces règles de français dont je n’ai jamais compris la logique et donc jamais intériorisé(es ?), pour lesquelles je traite au cas par cas, à l’intuition !

      1. Avec les verbes pronominaux (se promener, s’amuser), il suffit de se poser la question « Qui/qu’est ce qui EST + « participe passé » ? » : si la réponse à la question est placée avant le participe passé dans la proposition, on accorde le participe passé avec la réponse ; sinon, on n’accorde pas.

        Ex. 1 : « Elle s’est coupée.  »
        Qui est-ce qui est « coupé » ? Réponse : « elle ». La réponse étant placée avant le participe passé, on accorde « coupée » avec « elle ».
        Ex. 2 : « Elle s’est coupé le doigt »
        Qu’est-ce qui est « coupé » ? Réponse : « le doigt ». La réponse étant placée après le participe passé ; on n’accorde pas le participe.

        Si le verbe est essentiellement pronominal (ex : s’évanouir, *évanouir n’existant pas), il faut accorder le participe passé avec le sujet du verbe.

  4. Absolument d´accord avec tout ce que vous dites!
    Qu´on soit croyant ou pas, c´est désolant de voir l´église, le rite, la solennité, le prêtre, l´histoire…devenus simples effets de décor, toiles de fond relativement pas chers que les mariés « achètent » pour – d´après leur critère douteux- donner plus d´éclat ou noblesse à leur fête.
    En tout cas, deux remarques là-dessus: qu´en est-il des cultures « non occidentales »? Est-ce que ce sont seulement les occidentaux, les inventeurs du consummerisme, à franchir le dernier pallier, en réduisant la culture réligieuse à objet banal et accesoire? Il semble que oui.
    Et deuxième remarque. Quand je me suis confronté à ces scènes ringardes et prétentieuses, une fois que je peste -mentalement, bienséance oblige- contre ses auteurs intelectuels, je regarde le curé. Après ce moment de compassion envers lui, je crois qu´il est légitime de penser autrement: peut-être ils sont aussi en train de se vendre, ils se laissent piéger un peu volontairement, ils achètent du public au prix d´une banalisation de la religion et des ses lieux…

    1. C’est vrai qu’en l’occurrence, le prêtre ne semblait pas aussi dépité que moi ! Mais peut-être est-il aussi plus habitué que nous à ce genre de scènes ?
      Pour le coup, de ce que j’ai expérimenté, j’ai au contraire constaté que les prêtres qui préparent au mariage insistent assez fortement sur le fait que personne n’est obligé d’en passer par l’église et que si ça n’a pas de sens pour soi, mieux vaut ne rien faire (et qu’en revanche, si on se lance, alors on accepte de rentrer dans le « protocole »). Pas de clientélisme opportuniste donc. Mais une fois encore, ça dépend certainement du prêtre.

  5. En fait, à mon avis (j’ai déjà malheureusement assisté à ce genre de cérémonie où les mariés et les invités ne savent pas se tenir) le prêtre fait bonne figure mais au fond de lui, il est malheureux. Et aussi, permettez-moi de le dire: On dépense un fortune pour la déco de l’église, (bien plus que pour la cérémonie). A la fin on jette des pétales en papier, du riz, que sais-je encore, l’imagination n’a pas de borne. Et on laisse la brave femme bénévole faire le ménage derrière..

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