Le prestige du malheur

« La distinction qui s’attache au malheur est si grande », dit Nietzsche, « que si l’on vient vous dire « Mais que vous êtes heureux ! », vous ne manquerez guère de protester ».

A certaines personnes, il ne faut en effet jamais dire qu’elles sont heureuses ou qu’elles vont bien : elles vous contrent immédiatement et s’empressent de justifier le contraire. C’est qu’en les prenant en flagrant délit de contentement, en les suspectant de bien-être, vous contrevenez à une image qu’elles entretiennent en elles : que la vie est difficile ; qu’elle est difficile pour eux. Avec eux. Qu’elle ne leur fait pas de cadeau. Qu’ils sont à plaindre.

Ces gens tiennent au prestige du malheur comme si faire savoir qu’ils sont heureux pouvait attirer sur eux le mauvais sort. Et ils craignent leur bonheur comme si l’on allait leur en demander compte. Ils font, avec la personne qui leur affirme qu’ils ont bonne mine, comme avec l’huissier ou l’inspecteur fiscal à qui l’on doit absolument jouer la détresse et dissimuler son patrimoine.

Mais ce prestige a un prix. A minimiser ses joies pour réduire ses peines, on assure le rétrécissement de ses perspectives, de ses émotions, et finalement de son vécu. Cet état d’esprit finit par induire une vie où rien ne risque d’arriver.

6 réflexions au sujet de “Le prestige du malheur”

  1. J’ajouterais même à votre très exacte description qu’il me semble bien que cette attitude soit particulièrement répandue chez les femmes et les commerçants.

    1. Je ne me risquerai pas à généraliser (je mets suffisamment de choses sur le dos des femmes comme ça !). Je pense que sont notamment enclines à cela toutes les personnes un peu supersticieuses. Une lectrice m’apprend qu’il existe paraît-il des tribus où les femmes, à la naissance d’un enfant, gémissent toutes « qu’il est laid, qu’il est affreux !! » pour éloigner les mauvais esprits jaloux…
      Et pour les commerçants, avez-vous une explication ?

      1. Un mantra pour se dédouaner de la jalousie de moins pourvus que soit ? Un écran de fumée pour camoufler son entubage au client ? Un reste de honte « d’enrichis » ?
        Je ne saurais dire, en fait.

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