L’origine des mythes

Comment se fait-il que certains mythes soient si proches entre civilisations si différentes, pour expliquer la création du monde ou la distinction entre l’homme et la femme ? Comment expliquer ces similitudes entre sociétés humaines si éloignées, en des temps où elles n’ont pu communiquer ? C’est la question à laquelle s’intéresse l’historien Julien d’Huy dans le livre Cosmogonies – La Préhistoire des Mythes.

Les similitudes sont en effet parfois troublantes, entre des mythes provenant de groupes humains très distants dans l’espace et dans le temps. Plusieurs récits mythiques imaginent par exemple que la terre est née de l’eau. Que le lit d’une rivière a été creusé par un serpent. Que les reliefs montagneux sont l’oeuvre d’un animal souterrain ressemblant à un mammouth… Rien d’extraordinaire si l’on accepte la probabilité de la coïncidence : après tout, les Hommes ayant eu à observer de mêmes phénomènes en différents points du globe, il est logique qu’ils se soient posés les mêmes questions face à la nature céleste, aux étoiles, au Temps… et soient arrivés aux mêmes analogies pour en parler. Peut-être ont-ils vu des landes émerger des eaux lors de crues ou glaciations, et déduit que c’est ainsi que la Terre est née. Peut-être ont-ils vu des ossements ou fossiles remonter des glaces, et se sont-ils imaginés l’existence d’un animal souterrain fabuleux…

Mais Julien d’Huy se concentre justement sur les ressemblances entre mythes complexes : des récits sophistiqués, développant une chaîne de causalité, et se recoupant en au moins deux ou trois points. Ici, plus de place pour le hasard fortuit. Il existe par exemple quatre ou cinq mythes de Polyphème provenant de civilisations très différentes – nous connaissons celui d’Homère, les autres racontent une histoire à la moralité similaire. Les détails peuvent changer : parfois la grotte n’est pas une grotte, parfois le cyclope est un corbeau… mais tous ont un personnage « gardien des animaux », qui séquestre un autre personnage. Tous contiennent une punition par le feu, tous terminent par une fuite vers l’extérieur sous un animal ou une peau de bête. La similitude va bien plus loin que la simple occurrence de monstres à un oeil, dans un conte ici ou là.

Ainsi procède l’auteur : parmi des mythes de toutes époques et de tous continents, il rassemble des « familles » thématiques, à l’intérieur desquelles il cherche les dénominateurs communs. Pour ce faire, il découpe les mythes en petits segments, analyse les motifs qui reviennent le plus souvent au sein d’une même famille, et génère à partir de là des arborescences qui mettent en évidence les proximités voire les parentés entre mythes, considérant que le motif le plus commun constitue un « tronc » duquel proviennent les variantes. Son postulat : ces « familles de mythes » sont en réalité un seul et même mythe, qui a traversé les âges et muté, se ramifiant en différentes versions à l’occasion d’un événement – voyage, catastrophe, migration… – le groupe humain ou ses descendants acclimatant leur récit à leurs nouvelles conditions de vie, leurs expériences collectives, leurs influences culturelles… 

Le livre retrace ainsi le voyage et la transformation des mythes à la surface du globe, corroborant ses hypothèses par les recherches de l’archéologie, de la linguistique, de l’histoire des migrations… En comparant les différentes versions d’un mythe, en identifiant leur provenance et le moment où a pu se produire la fission, il remonte au récit originel le plus pur et le plus ancien. Le propos n’est pas de dire qu’il existerait un mythe unique duquel découleraient tous les autres, mais l’auteur tend néanmoins à reconstituer le proto-récit humain d’avant « sortie de l’Afrique », et il pourrait se résumer ainsi :

« Il y a sous-terre une déesse femme qui retient le gibier, et qu’elle relâche à la surface selon sa bonne volonté ; il s’agit de l’honorer, de la contrarier le moins possible, et de rendre à la terre pour espérer que le gibier se régénère« .

Outre la méthode employée, passionnante à suivre, le livre a plusieurs mérites. Tout d’abord, il fait rompre avec l’impression que les mythes que nous connaissons le mieux, qui font notre connaissance, seraient des originaux. La Bible, la mythologie grecque et tous les scénarios, sont les versions actualisées et composites de thèmes immémoriaux dont l’Homme fait le régulier aggiornamento

D’autre part, il offre une réflexion sur la nature toute particulière du mythe. Différent du conte, lequel s’assume comme fictif, allégorique et édifiant, le mythe veut être cru sérieusement, pour autant il n’est pas non plus une tentative d’explication « rationnelle » du monde. C’est pourtant un peu de cette façon que les esprits matériels et modernes que nous sommes sont tentés de le percevoir : les mythes, des hypothèses naïves et foireuses que les Hommes de temps anciens formulaient – les seules qui étaient à leur portée avant l’arrivée de la Science et du Progrès. Nous croyons volontiers que ce nous pouvons lire de leurs grimoires, eux le prenaient pour argent comptant. C’est ignorer la place du mythe entre croyance et symbolique. C’est aussi et surtout trahir le sérieux avec lequel nous-mêmes croyons à nos propres mythes. Notre foi en la Science et la technique est bien plus entière, donc plus naïve, que celle que ces Hommes mettaient dans les êtres surnaturels et les histoires imaginées. Moins que des explications, les mythes sont des craintes ou des illusions d’enfants, cristallisées en « belles histoires ». Entre mythe et science, il n’y a pas nécessairement opposition : il y a continuité. Ne fallait-il pas passer par la croyance monothéiste au Dieu unique pour forger le goût d’une Vérité universelle, philosophique ou scientifique ?

Pour Julien d’Huy en tout cas, les mythes sont ce qui a permis à l’Homme de repousser la peur et de réduire la part de l’inconnu. C’est par les mythes que nous apprivoisons l’obscurité, que nous projetons des mots, des formes, des images comme un faisceau sur le néant, pour le rendre plus familier.

L’univers : ça c’est fait.

univers portée de main

Peu disposé à l’émerveillement scientifique, j’accuse un certain degré d’ignorance dans ces matières. J’ai cessé de m’y confronter aussitôt que l’école a jugé que je n’avais plus à m’en soucier.

Pour cette raison, on m’a recommandé la lecture de L’Univers à portée de main : un livre de vulgarisation écrit par un élève de Stephen Hawking (Christophe Galfard) sur la physique de l’univers, l’astronomie, la physique quantique… Un voyage dans l’infiniment grand et l’infiniment petit, renversant pour quelqu’un d’infiniment moyen comme moi. La lecture permet de saisir, l’espace de quelques secondes, la réalité de choses réputées complexes ou inaccessibles au point qu’on ne cherche même pas à savoir ce qu’elles veulent dire lorsqu’on est amateur. Théorie de la relativité, trou noir, champ quantique… Et l’on se sent alors un peu idiot à découvrir des choses que le monde connaît depuis près d’un siècle – vous le saviez, vous, que la gravitation de Newton, qu’on enseigne pourtant à l’école, était caduque et dépassée ? Vous auriez pu me le dire.

Autre étonnement que m’a apporté le livre : la façon dont se font les grands apports scientifiques. Avec un soupçon de mépris sans doute, j’avais l’intuition qu’un génie scientifique était moins singulier qu’un génie littéraire ou artistique. Tuez dans le berceau Vincent Van Gogh ou Honoré de Balzac, c’est toute une œuvre qui serait à jamais perdue pour l’humanité, personne d’autre ne pouvant produire la même chose à leur place. Tandis que, parce que l’on parle pour la science de « découverte », le sentiment est qu’il suffit de « bien regarder », de mettre sur la table le temps et les moyens suffisants. Une énigme à résoudre ? Mettez sur le coup une équipe de chercheurs fraîchement sortis de la meilleure université, penchez-les sur leur microscope ou leur accélérateur de particules et ils finiront par trouver ce qu’il y a à trouver. Et si ce n’est pas eux, ce sera leurs collègues de l’université d’en face.

Or ce n’est pas de cette façon que les choses se passent. La plupart des grandes avancées scientifiques n’ont pas été des découvertes mais des inventions : à l’origine, il y a un génie qui a une intuition, qui émet une hypothèse plus ou moins farfelue qui le reste pendant des décennies aux yeux du monde avant d’être effectivement découverte, c’est-à-dire prouvée par l’expérience et observée. J’adresse ainsi mes plus plates excuses à la communauté scientifique pour le péché d’orgueil que je lui ai opposée toutes ces années !

« L’angoisse des hommes qui ne savent pas répondre »

Dans le film Zorba le Grec, il y a Basile, un jeune intellectuel poli et bien mis, venu en Crète faire fortune avec les terres que son père lui a laissées, et Zorba, homme local, rieur et baroudeur, qui se fait son serviteur et lui apprend à vivre.

Il y a ce joli moment de rage, lorsqu’un jeune du village meurt accidentellement :

Zorba, indigné :
Why do the young die? Why does anybody die?

Basile, calme et résigné :
I don’t know.

Zorba :
What’s the use of all your damn books
if they can’t answer that?

Basile :
They tell me about the agony of men who can’t answer questions like yours.

Zorba :
I spit on this agony!

En français :

– Pourquoi doit-on mourir ?
– Je ne sais pas.
– A quoi servent tous tes bouquins s’ils ne peuvent pas répondre à ça ?
– Ils me parlent de l’angoisse des hommes qui ne savent pas répondre à cette question…
– Au diable cette angoisse !

Types de livres et types d’écrivains

Il y a 2 sortes de bouquins :

  • ceux écrits pour épater : l’auteur n’en revient pas de sa vérité ou de son histoire, il la publie pour la faire valoir et lui avec,
  • ceux écrits pour se débarrasser : il fallait écrire ce livre, sitôt qu’il pose sa vérité sur le papier l’auteur s’en débarrasse, il est déjà passé à autre chose.

 A propos de cette seconde catégorie, Nietzsche a écrit : « on n’aime plus assez sa connaissance dès lors qu’on la communique. »

Il y a 2 sortes d’écrivains :

  • ceux qui veulent être écrivain : ils font leur métier, nous tricotent de belles histoires, travaillent à des effets…
  • ceux qui veulent être autre chose : ce n’est pas un « écrivain » mais un homme qui écrit. Ce qu’ils sont amenés à écrire est un témoignage, un bout de vie tout cru.

Dans la création, il y aura toujours ce conflit irréductible entre la pudeur de l’esprit libre et la vulgarité de l’artiste. Il s’agit de saisir le moment où l’équilibre se fait entre masculin et féminin, intelligence et créativité, vérité et artifice. Il s’agit de trouver l’illusion la plus crédible, de poser sur le papier ou sur la toile, ses doutes et sa fragilité, tout en étant sûr de son bon droit. Il s’agit de perdre la culpabilité qui consiste à penser « excusez-moi de vous déranger avec mon histoire, avec mon caprice… »

Il y a 2 sortes d’écrivains (cela nous en fait donc 4 !) :

  • celui qui sait écrire (entre autres choses),
  • celui qui ne sait qu’écrire (et rien d’autre).