L’esprit Canal : cynisme + bienpensance

Quand on parle télé, on en arrive très vite à décrier TF1 comme l’archétype de la bassesse, du cynisme et de la putasserie. Il me sera pourtant toujours plus agréable de regarder TF1 que Canal +, et je sais très précisément pourquoi.

TF1 est con, mais ne prétend pas faire autre chose que du divertissement. Canal + a cette propension à se croire « + », justement. Plus que les autres, plus décalé, plus que de la simple télé. La chaîne revendique un supplément d’âme : elle a une philosophie à enseigner, un regard « différent » à porter, un « esprit » à véhiculer… Il y a quelque chose, un enrobage, que la chaîne prétend offrir en plus du simple contenu télévisuel.

  • D’un côté, Canal ajoute du sens : sa petite touche de « différence ». Derrière tout ce qu’elle montre, il y a un message. « Regardez notre présentatrice JT, elle en a dans le crâne, elle ». « Chez nous il a des noirs et des arabes au moins ». « Les autres pensent comme ceci, avec nous pensez plutôt comme cela ». « La télé c’est de la merde, mais nous c’est pas pareil n’est-ce pas » (l’insupportable « vous pouvez éteindre votre télé »).
  • De l’autre côté, Canal vide le sens : elle revendique le politiquement incorrect, le trash, le non-sens. « On a une miss météo, mais elle ne fait pas vraiment la météo », poilant ! « Nos comiques font des sketches sans sketch : il suffit de balbutier des absurdités avec un vocabulaire d’enfant et un accent de débile », lol ! On diffuse du porno mais on est classe et branché. On lit Beigbedder et Voici mais on sait bien que la littérature ce n’est pas ça ! On vit comme un con, on fait les choses que fait un con, mais on fait exprès, on n’est pas cons ! Les cons, ce sont les autres !

Ce double langage définit à mon sens « l’esprit Canal », et n’a rien d’un paradoxe : le « décalé » est au contraire un contrepoids nécessaire au côté donneur de leçons. Et voilà comment coexistent le cynisme et la dérision affichés, avec la vélléité irrépréssible d’apprendre aux gens à bien penser. Le soi-disant politiquement incorrect, avec l’impeccablement immoral.

Si seulement il résultait de cet « esprit Canal » une façon originale et différente de faire de la télé, mais ce n’est pas le cas. Nous avons simplement là une chaîne qui se paie le panache d’être « différente », mais qui en fait n’est ni plus ni moins bêtasse et merdique que les autres. Le second degré permet d’être aussi con et moche que les autres, sans renoncer à la distinction.

karl zéro lagaf

Le problème, c’est qu’il résiste mal au temps, ce second degré. On s’en rend compte grâce aux rééditions DVD des soi-disant émissions cultes, comme le Journal des Nuls, aujourd’hui embarassant à regarder : le temps a gommé le second degré ; ce qui n’était drôle que par second degré (c’est-à-dire nul mais on le sait et on le fait exprès, c’est ça qui est drôle, lol !) est redevenu ce qu’il était : tout simplement nul. Au-delà d’un certain stade, le second degré rejoint le premier : produire un jeu volontairement idiot avec un animateur « décalé » n’est pas moins produire de la débilité, jouer de blagues trash racistes ou pédophiles n’est pas moins satisfaire ces pulsions là, et celui qui rit à cet humour « trop lourd ! » est un lourd, celui qui jubile de cette veste « trop kitsch ! » est un kitsch, celui qui se délècte de ce spectacle « trop ringard ! » est un ringard, et celui qui met 1 centime de sa poche pour voir ce film second degré
« trop débile ! » participe à la débilité.

Nous aimons tous le second degré, n’est-ce pas. La quasi-totalité de notre humour, que dis-je, de notre esprit, est basé dessus. Hier, on riait encore d’une simple histoire de putes, de pédés ou de caca. Aujourd’hui, il nous faut du décalé. Mais tout cela ne vous fera plus rire le jour où vous constaterez que ce second degré permet de refourguer des choses que personne ne voudrait autrement : en ricanant au second degré, non seulement vous ne faites pas changer les choses, mais vous participez à une arnaque qui fait accessoirement vivre une floppée de parasites. Dites-vous bien que les Stéphane Guillon, Guy Carlier et consorts n’auraient aucune raison d’être si la merde télévisuelle et médiatique dont ils ricanent avec vous, cessait d’exister. Ce qu’ils déplorent et ce dont ils prétendent se démarquer est en réalité leur nourriture la plus nécessaire : ils ne vivent que parce qu’ils se moquent. Il y a des émissions entières qui ne vivent que parce que les gens « s’en moquent », et des entreprises entières, comme Canal+, qui n’existeraient certainement pas sans second degré.

Notre mépris ne doit jamais se tromper entre un Patrick Sébastien qui « fait pour faire » et un Karl Zéro qui « fait sans faire ».

Dégourdir les souvenirs, dégourdir les sens

Rappelez-vous comme vous aimez un bon vin ou une tasse de café après le repas…

Rappelez-vous maintenant la grimace que vous faisiez, enfant, à peine vous y trempiez les lèvres.

gout de la langueExercice : essayer de retrouver son dégoût d’enfant, rechercher aujourd’hui dans le vin, le café, ce goût qu’on ne supportait pas.
Variante pour les fumeurs : retrouver dans votre cigarette du jour, le piquant de la toute première, celle fumée en cachette depuis la fenêtre de sa chambre.

On peut y arriver, mais pas plus d’une demi-seconde : la sensation s’échappe.

Crétin électronique : restez branché !

L’ennui est une incapacité à rester seul et inactif. Un évitement systématique de se retrouver face à soi. Plutôt lire, écouter, discuter, courir, tout qui puisse occuper l’esprit, saturer les sens, bloquer l’accès aux idées et aux questions fécondes. La crainte de l’ennui est le propre des gens creux : inoccupés, ils craignent d’entrevoir le vide qui les habite et d’attraper un vertige. Les emmerdeurs du quotidien sont typiquement des gens qui craignent l’ennui.

iPod

Ce qui est curieux, c’est que des pans entiers de l’industrie travaillent pour ces gens là. Des entreprises, mais aussi des secteurs entiers de l’économie, sont dédiés par exemple à l’équipement des crétins électroniques. Car le crétin électronique a besoin de la technologie la plus pointue pour accoucher de sa bêtise. Il a aujourd’hui  à sa disposition une gamme infiniment variée de produits et services à fort quotient technologique, qui n’ont pour seule valeur ajoutée que de le distraire, de le soustraire à lui-même et à la réalité. C’est la seule vocation de ces produits : permettre au crétin électronique de s’oublier ; et tant pis si ces produits sont par ailleurs des instruments de nuisance qui dégradent la qualité de vie des gens normaux.

Il a par exemple fallu que quelqu’un invente un appareil de musique individuel spécialement conçu pour déranger les gens : aux écouteurs traditionnels, a été ajouté un micro qui fait profiter d’un son nasillard et insupportable à tout l’entourage du crétin – dans la rue, dans les transports en commun. Le son est de piètre qualité aussi bien pour cet entourage que pour le crétin lui-même, mais voilà : il offre au crétin électronique je ne sais quel bénéfice (afficher « qui il est » ?). Et voilà un produit technologique à valeur humaine ajoutée négative !

Il faut bien être conscient que ce produit n’est pas une erreur. Avant d’arriver dans les mains du crétin électronique, il a été longuement pensé et réfléchi, est passé entre des centaines de mains sérieuses et professionnelles, a nécessité des investissements massifs… Qui a intérêt à ça ? Qu’y a-t-il de si impératif à brancher les crétins, qui justifie une véritable politique industrielle des « loisirs » ? Qu’aurait-on pu par exemple créer de véritablement intéressant avec le fric qu’on a cramé pour arriver à l’iPod ?

Wii-lib : vivre à distance

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Dans le futur, on ne sort plus dans la rue : on fait du wii-lib, ces drônes télécommandés attelés à des bornes qu’on trouve un peu partout dans les grandes villes. Le wii-lib se commande depuis chez soi. On s’installe dans le module informatique universel de 1 ou 2 m2 dont chaque logement est équipé, avec casque, manettes et autres simulateurs « wii ». On se connecte à une borne de n’importe quelle ville du monde et on retire un wii-lib. On se déplace ainsi depuis chez soi comme si on y était : le drône wii-lib effectue les gestes qu’on fait chez soi, et transmet les images, le son, les vibrations, le toucher… A ces informations retransmises, s’ajoutent sur l’écran de l’utilisateur toutes sortes de fenêtres, publicitaires ou de messageries instantanées.

Wii-FitLe wii-lib permet à n’importe quel petit techtonik parisien un peu friqué de faire son shopping à Tokyo depuis chez lui : il parcourt les boutiques et les marchés, essaye ce blouson si intéressant ou ces fabuleuses lunettes de soleil, les achète, et ses emplettes lui sont livrées quelques jours plus tard.

Les entreprises utilisent également abondamment les wii-lib, pour les réunions de travail, les entretiens d’embauche, mais aussi pour le travail à domicile : ouvriers et manutentionnaires restent désormais à la maison et travaillent par wii-lib (des modèles sont spécialement développés par les entreprises pour s’adapter à certaines tâches). Autre conséquence : les compagnies aériennes ont fait rapidement faillite. Les avions de ligne sont définitivement un souvenir du 20-21ème siècle.

Besoin impétueux de solitude

degageIl manque un mot pour exprimer le contraire de la solitude. Ce moment où l’on est pleinement conscient de l’inopportunité de la présence des autres, de ce que l’autre est en train de bousiller l’instant. Cet écoeurement, ce besoin viscéral d’évacuer la pièce de toute présence, de voir disparaître sur le champ celui ou ceux qui sont à vos côtés pour rester seul ?  

J’ignore si c’est la vitalité, qu’une simple conversation est capable de pomper entièrement, mais il est évident que l’entretien avec certaines personnes nous dévalise de quelque chose.

Il manque un mot pour ce mal, moins tragique que l’isolement mais certainement plus aigu et plus intense.

Temps des nomades, chant des gitans

Amusant concept que celui de la propriété : car il ne tient qu’à nous de croire que celui qui a acheté le terrain l’occupe de droit. La propriété est un accord purement arbitraire, le propriétaire n’a rien de réel et les signatures ne sont jamais que des preuves que deux hommes ont échangé de l’argent à un moment donné. Le terrain, lui, n’est relié à personne en quelque façon, il s’appartient sans se soucier de ce qui se trame sur son dos.

Est-ce cette réflexion qui habite les Têtes Raides, San Sévérino, et tous ces simili-clochards de la chanson française qui fredonnent sur un accordéon que le monde est à tout le monde, je me balade partout ? Ils jugent fascisante l’idée d’avoir un patrimoine qui nous appartient et ne veulent chanter « Paris est beau quand chantent les oiseaux » que s’il rime avec « Paris est laid quand il se croit français ». Après les Ferrat qui chantaient communiste, voici les chantres de l’esprit gitan. Et cet esprit fait des merveilles quand pour glorifier le nomadisme, il se cache sous un documentaire historique ! Je fais ici allusion au film « Le Sacre de l’Homme », 2ème volet du programme de France 2 qui reconstitue l’odyssée préhistorique de l’espèce. Cet épisode, pour retracer la sédentarisation, met en scène la rencontre entre une tribu nomade et une peuplade sédentaire.


Le sacre de l’homme (1/9)

Les nomades sont présentés comme des êtres innocents, vivant d’amour et d’eau fraîche, ayant « le goût de l’aventure »… Tandis que les sédentaires sont rabougris et mesquins et n’ont d’autre rêve que de conserver leurs acquisitions. Les nomades sont écolos : ils s’accomodent de branchages. Mais les sédentaires, avec leurs constructions, plient la nature à leur volonté. Les nomades aiment l’étranger : il est une occasion de rencontre. Les sédentaires sont racistes : ils le voient comme une menace pour leurs biens. Oui, la propriété a tout gâché : elle a corrompu l’innocence. Et quand les nomades volent les sédentaires, on nous explique que ce n’est pas leur faute : eux ne croient pas faire de mal, ils pensent cueillir des baies sauvages. Ce sont les sédentaires, avec leur sale vision des choses, qui inventent la notion de vol !

Cette belle idéologie d’insouciance et de nomadisme est ce qui provoque en réalité la majorité des problèmes entre humains. Et ce n’est peut-être pas un hasard si de plus en plus on nous enjoint de renoncer à l’idée de propriété. Pourquoi voulez-vous une maison, nous dit-on ? Pourquoi voulez-vous un boulot ? Pourquoi voulez-vous un pays ? On dort si bien à la belle étoile ! Et le travail, c’est ennuyeux, vous n’allez tout de même pas garder le même toute votre vie ! Il faut bouger ! Mo-bi-li-té ! Mais en vélo, vous comprenez. En vélo de location ! Pourquoi vous embêter à posséder une voiture, qui salit la nature en plus ! Mai 68 a tout bouffé, qu’on vous dit ! Plutôt que de pleurer toutes ces choses qu’on ne compte plus vous offrir, mieux vaut chanter l’esprit gitan !

En réalité, l’idée de propriété – s’approprier un morceau de terre, une idée, un savoir – est salvatrice. Dans la vie, il y a les gens qui créent des biens : ils sont propriétaires d’un savoir-faire, d’un art, d’une connaissance, qu’ils cultivent et entretiennent. Ils œuvrent dans le sens de l’accroissement de valeur dans le monde. Autour gravitent les autres, les « nomades ». Les nomades ne possèdent rien et sont incapables de créer. Comme dans le documentaire, ils ne savent pas qu’on peut voler, ils ne savent pas qu’on peut créer. Ils croient que rien n’appartient à personne, que tout est tombé du ciel en l’état, que la richesse est en quantité finie et limitée sur la planète et que chacun en arrache une part à sa convenance. Les nomades n’ont rien à proposer au monde. Ce sont des pillards.

Le pillard a commencé par tuer et voler. Au fil des siècles, il a adapté sa technique : exploitation, esclavage, commerce… Aujourd’hui il s’approprie en consommant les créations des autres. En art, en amitié, en loisir, il pille, suce, mange et digère. Il éponge, absorbe, il « assiste à ». Il achète, sans jamais donner de lui-même. Il n’a pas de respect pour le bien ou pour le producteur car il ignore le travail et la compétence que renferme la chose qu’il convoite. Dans sa tête, créer cette chose est une formalité. Et si l’on questionne son comportement de pillard, de client, il répond que les oiseaux sont beaux, que le soleil brille, que le monde est une forêt dont chacun ramasse les fruits à sa guise, et que « zut, laissez-nous vivre » !

C’est tout cela qui transparaît dans l’attitude nomade de client intégral. C’est un esprit naturel chez l’enfant, « pauvre » par excellence, qui prend, absorbe, regarde, écoute, consomme, se remplit avec avidité. On est adulte quand on développe une conscience pour soi et une pour le monde ; quand on considère qu’il y a un temps pour se construire avec les choses de l’extérieur et un temps pour créer, donner, produire.

Chaussure & mode de vie

J’ai visité un endroit qui ressemblait à l’enfer : une sorte de supermarché de la chaussure, ou de Temple de la Chaussure – « chaussure » n’étant plus à prendre ici au sens d’objet mais de mode de vie. Là-bas, les gens circulent avec un air très sérieux, à la recherche de ce qui se fait de mieux ou de plus récent dans le domaine de la chaussure. Ils sont tous vêtu de leur T-shirt le plus intéressant, souvent affublés d’un article de singularité tel que lunettes de soleil, casque à musique ou casquette.

Il y avait là-bas un artiste de la chaussure, un Sage de la chaussure, en réalité un cordonnier américain ou australien qui avait dû être payé pour venir ici, au Temple de la Chaussure parisien, et qui faisait semblant de travailler une semelle de basket sur un espèce d’établi, au milieu de la foule. Certaines personnes venaient s’adresser à lui, en anglais, avec une sorte de respect dans le regard. C’est ce qui m’a marqué : le sérieux des gens. L’air très concentré des consommateurs de chaussures, en décalage avec le « fun » sur lequel jouent les publicités de la basket.

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C’est comme s’il y avait là une histoire de spiritualité : ces gens ne sont pas seulement à la recherche d’une paire de chaussures mais viennent éprouver et ressentir « l’univers » de la chaussure. Pour eux, il y a un mode de vie dans lequel « la » chaussure, et à plus forte raison la basket, a un grand rôle à jouer.

On la constate dans beaucoup d’occasions, cette vénération :

  • un ami obnubilé par les baskets qui s’achète une paire par semaine, qui en fait un sujet de conversation régulier,
  • un collègue qui attend avec impatience la sortie d’une certaine paire de baskets en version 1973 ou quoi,
  • ou encore, affichée dans un kiosque, une couverture de magazine spécialisé en chaussure où l’on parle de la vie sous l’angle de la chaussure, où l’on relève les faits d’actualité où il a été question de chaussure, et où l’on interviewe des célébrités du point de vue de la chaussure : aime-t-il les chaussures, possédait-il telle paire de chaussures quand il était petit, et que représentent pour lui les chaussures…,
  • ou tout simplement, le type qui s’est donné beaucoup de mal pour trouver ces belles tennis vertes et jaunes, qui surlignent si bien sa personnalité et qu’il serait catastrophé de retrouver aux pieds d’un d’autre.

Ca fait du monde. A se demander s’il existe encore des gens pour trouver tout cela ridicule.

Gros moi : on ne s’en débarasse pas

big meQuand elle vous plaque, vous ne souffrez pas tant de ce qu’elle vous retire que de ce qu’elle vous laisse : laissé là avec votre gros moi insupportable et insupporté. Une façon de vous dire « bon courage, démerde-toi tout seul avec ! ». Et vous n’avez plus qu’à trouver quelqu’un d’autre à qui vous refourguer.

Gonflette intellectuelle

cervelle

La musculation est une activité ridicule comme chacun sait. Non que son principe soit plus idiot que n’importe quel sport, mais parce qu’elle consiste à acquérir – à imposer – quelque chose dont le corps n’a pas besoin. En temps normal, chacun est musclé à l’exacte mesure de ce que son corps et son activité quotidienne requiert. Le déménageur a de gros bras pour et parce qu’il porte des cartons toute la journée, le tennisman a un avant-bras particulièrement musclé pour et parce qu’il frappe dans la balle, et le glandeur a exactement autant de muscles qu’il faut pour appuyer sur une manette de jeux vidéo.

Considérons maintenant la gonflette de l’esprit. Tous ces littéreux qui ont toujours une critique avisée et bien sentie du dernier film sorti au cinéma, parlent avec le plus grand sérieux d’une BD manga qui est un chef-d’oeuvre, font des classements des groupes musicaux majeurs, se demandent si ce livre ne serait pas un roman cubiste… Il y a là une manie risible de nourrir son esprit au-delà de ses moyens, au-delà de ce que son quotidien nécessite. Moyennant quoi une effroyable quantité de biens et services culturels est consommée par la plupart d’entre nous absolument en vain.

On pourrait considérer ces littéreux avec le même mépris qu’on regarde Jean-Marc aller à la salle de muscu. Il se pourrait que ce qui est sain, c’est de garder l’usage de la culture pour les grands jours, comme un bon Champagne. Schopenhauer va même jusqu’à dire que c’est une condition du bonheur de ne pas philosopher trop haut ; ne pas développer son intellect au-delà du pur service de son intérêt individuel.

Amis à usage unique

copains

Combien d’amis avons-nous « perdu » de cette façon : ils sont toujours là, disponibles, mais ils n’intéressent plus, on est venu à bout de leur mystère.

Au bout du compte, ce ne sont pas seulement ces amis qui s’usent, mais tout bonnement notre capacité à l’amitié. Au fil des ans, ils durent de moins en moins longtemps, ces gens que l’on rencontre, ils s’avancent, de moins en moins fascinants à mesure qu’on déchiffre l’art du masque social. Leurs numéros se font de moins en moins convaincants. On les perce à jour toujours plus tôt. Ils sont de plus en plus rares à présenter quelque chose d’authentique et d’étonnant. Au fil des ans, « l’authentiquement fascinant » devient une utopie puis une chimère.

A la longue, pour ne plus être déçu, il faut revoir ses exigences, ne plus espérer l’osmose et le partage mais tout au plus une agréable compagnie, il faut assigner à ces amis des rôles de plus en plus réduits et univoques, admettre que désormais, on se contentera de ces trois ou quatre personnes, trois ou quatre amis à usage unique : l’un pour distraire, l’autre pour bavasser, un autre encore pour confier ses envies ou ses idées… Et voilà.